4 Août 1914

4 Août 1914.

Petit à petit notre régiment se forme ; nous avons reçu à peu près la moitié de notre effectif et tout se passe pour le mieux.[1]

Je crois être bien tombé comme chefs. Mon chef de Bataillon, très chic, sortant de l’Ecole de Guerre, est le Commandant Biesse[2]. Jeune (il a 42 ans), calme et réfléchi, c’est un homme ; je sens que je le suivrai sans peine partout où il me conduira. Autre type est celui de mon Capitaine. 50 ans, il est le plus ancien capitaine du régiment. Cheveux gris et moustache taillée en brosse, très vert et rempli d’un entrain endiablé, c’est le vieux troupier dans la bonne acception du terme. Rompu à tous les trucs du métier, il sait faire profiter tout son entourage de son expérience. Avec cela, animé d’une haine féroce pour le Boche, haine décuplée par une carrière entièrement passée dans les garnisons de l’Est où il est indéniable que l’atmosphère se ressent du voisinage de la frontière. Enfin, j’ai l’impression que nous sommes commandés par des hommes de cœur et de valeur.

Le bureau de la Compagnie est installé au presbytère. Fait à signaler, le très vieux curé de Pierre-la-Treiche élève des abeilles en quantité et, lorsqu’on pénètre chez lui, on est entouré d’une nuée de ces utiles insectes. Il paraît que le miel qu’il récolte est destiné à la confection d’un remède de son invention, très efficace pour les maladies de poitrine ; aussi vient-on de très loin à la ronde le consulter. Il n’exerce du reste pas illégalement la médecine car il serait, dit-on, docteur en médecine.

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[1] D’après les lois en vigueur en 1914 (Loi sur l’organisation de l’armée – Loi des Cadres – loi du recrutement), chaque régiment d’infanterie du temps de paix forme à la mobilisation :

1°)  1 Régiment d’Infanterie actif à  3 Bataillons de 4 Compagnies plus 1 CHR (Compagnie Hors Rang), gardant son numéro primitif et composé des 3 classes d’active, renforcées des réservistes des 3 ou 4 plus jeunes classes de la réserve. Les cadres sont fournis en majeure partie par les officiers du cadre actif et, pour une part plus restreinte, par les officiers de complément.

2°) 1 Régiment de réserve portant le numéro du Régiment actif augmenté de 200 (ainsi, notre régiment qui est formé par le 26^e, porte le n° 226). Il est uniquement composé de réservistes de classes un peu plus âgées que celles affectées au régiment actif et les cadres sont fournis d’une part par le cadre complémentaire de ce dernier régiment et, de l’autre, en majorité, par les officiers de réserve. En d’autres termes, le régiment actif passe à son frère cadet de réserve : 1 Lieutenant-Colonel, Commandant ; les 2 Chefs de Bataillon (depuis la suppression définitive des 4^e  Bataillons, les régiments de réserve ne sont plus qu’à 2 Bataillons, plus une CHR) ; les 8 Capitaines Commandants de Compagnie, plus 1 Capitaine adjoint au Colonel, faisant fonction de major, les autres emplois et les commandements de peloton étant dévolus à des officiers de réserve des grades de Lieutenant et Sous-Lieutenant. Un certain nombre de sous-officiers, actifs du cadre complémentaire – adjudants-chefs, adjudants, sergents-majors & sergents – font également partie de l’encadrement du Régiment de réserve. Le service de santé comprend 1 médecin actif à trois galons, chef de service, et deux médecins de Bataillon, à un ou deux galons, de réserve.

3°) 1 Régiment Territorial à 3 Bataillons, indépendant du régiment actif, en temps de paix, se mobilisant avec ses propres cadres ; il est formé des hommes les plus jeunes de la territoriale.

Ces 3 Régiments ont un dépôt qui leur est commun.

Le temps de service dû par chaque citoyen français se répartit comme suit :

-          Armée active :                       3 ans   )

-          Réserve :                              11 ans  )  soit au total 28 ans. (note de l’auteur)

-          Territoriale :                          7 ans    )

-          Réserve de la Territoriale :  7 ans     )

 [2] Le Commandant Biesse ne devait rester que quelques jours au 226^e ; appelé le 8 Août à l’Etat-Major du 20^e Corps, il y est promu Lieutenant-Colonel et en devient bientôt le chef. Il prend ensuite le commandement du 153^e qu’il quitte en Août 1916, pour le G.Q.G.  (NDLR Grand Quartier Général, de 1914 à 1919, assurant le commandement de l’ensemble du corps de bataille français) où il dirige le 1^er Bureau. Colonel en 1917, vers la fin de cette année, il reçoit le commandement de l’I.D. de la 56^e D.I. (NDLR : Infanterie Divisionnaire & Division d’Infanterie). En Mai 1918, il est nommé Général de Brigade à titre temporaire et est placé à la tête de la 151^e D.I.

L’armistice signé, il est nommé au Commandement de la Tête de Pont de Kehl ; Général de Brigade à titre définitif en 1919, il est appelé à l’Armée du Rhin dont il devient le Chef d’Etat-Major. C’est dans ces fonctions que, atteint d’une angine de poitrine, il meurt prématurément au commencement de 1923. (note de l'auteur)