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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
7 août 2014

7 Août 1914

7 Août 1914

Journée d’émotion ! Ce matin, le Colonel a présenté le Drapeau au Régiment assemblé. Il a prononcé une vibrante allocution qui a été au cœur de chacun et n’a laissé personne indifférent, j’en suis persuadé. Pour mon compte, j’avoue sans honte que c’est le cœur poigné d’émotion et des larmes plein les yeux que j’ai contemplé notre emblème ! Il est encore vierge d’inscriptions glorieuses, mais nous saurons bien, avec notre sang, écrire sur sa soie le nom de prochaines victoires1.

 

drapeau du 226e RI (source: http://memorial19141918.files.wordpress.com/2011/05/ri-226-drapeau.jpg)

relique drapeau 226e

 document illustrant la note n°1 ci-dessous et provenant du  site : http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/relique-drapeau-226e-sujet_5470_1.htm (NDLR)

 C’est demain que nous quittons Pierre-la-Treiche. Aussi sommes-nous impatients de voir la journée se terminer.

Il existe, toutefois, une ombre au tableau, c’est que je ne reçois absolument rien des miens. De son côté, ma femme est-elle mise en possession des quelques lignes que j’ai griffonnées chaque jour à son adresse ? Enfin, patience ; avec le temps, les correspondances se régulariseront, il faut l’espérer.

Hier soir, en compagnie du Commandant Biesse, je suis allé à la gare voir défiler les trains militaires. De ce côté, tout se passe dans l’ordre le plus parfait. Les trains se suivent à intervalles de 20 à 30 minutes ; les hommes qu’ils transportent sont tous animés d’un enthousiasme de bon aloi. Mon Commandant, spécialiste en ce qui concerne le service des chemins de fer, car il a fait un long stage au 4e Bureau de l’État-major de l’Armée et, en cette qualité, a travaillé à l’élaboration  du plan des transports de concentration mis en pratique aujourd’hui, me donne des renseignements techniques intéressants. J’apprends de sa bouche qu’il faut un train pour transporter un bataillon d’infanterie, un escadron de cavalerie ou une batterie d’artillerie. Il me dit également que chaque train possède deux équipes de mécanicien et de chauffeur qui se relaient de 12 heures en 12 heures ; quand l’une travaille, l’autre se repose.

Pendant que j’écoute ces explications, les convois continuent à défiler interminablement avec une ponctualité monotone. La concentration s’opère dans les meilleures conditions. All right ! comme disent nos alliés les Anglais qui, nous venons de l’apprendre, se rangent à nos côtés.

En attendant, nous ne souffrons pas trop du manque de nourriture. Au contraire, nous existons ! pour employer le langage imagé de nos troupiers. Nous mangeons force canards rôtis et, hier, on nous a servi une friture de jeunes truites, pêchées en fraude dans la Moselle. Il serait à souhaiter qu’il en fût ainsi jusqu’à la fin de la Campagne.

Concernant cette dernière éventualité, le Commandant Biesse m’a navré, l’autre soir. Pour lui, la guerre durera tout au plus six semaines ! Ce n’est pas cette perspective, naturellement, qui m’a chagriné, mais il a ajouté que, peut-être, nous autres, Régiment de réserve, n'aurions-nous pas à intervenir ! Cela serait-il possible ? Dans ce cas, ce n’était guère la peine d’obtenir, l’année dernière, d’être affecté à un Corps de la Division de Nancy ; je n’avais qu’à tranquillement rester à mon Régiment breton. Enfin, nous verrons bien.

Chaque soir, après dîner, le Commandant nous emmène, le Capitaine Dard et moi, à la popote du Colonel Hoff. Cette popote, aussi bruyante que brillante, comprend tout l’État-major du Régiment, soit une dizaine d’officiers2.

Au cours d’une de ces récentes visites, alors que l’on parlait des tentatives faites, en France, ces dernières années, pour restaurer l’esprit militaire et obtenir le renforcement de l’Armée, le Colonel Hoff, s’adressant à moi, dit : « Quelles que soient vos idées religieuses, monsieur Proutaux, voyez la main de Dieu dans l’élection de M. Poincaré à la Présidence de la République.Je suis tout-à-fait d’accord avec vous, mon Colonel, » lui ai-je répondu.

Ces causeries se prolongent quelquefois fort tard dans la soirée3. C’est là que j’ai connu le Lieutenant-mitrailleur Denis4 (le Lieutenant Denis, bombardé mitrailleur, n’a jamais approché une mitrailleuse, en ignore totalement le fonctionnement, ainsi, du reste, que du télémètre que possède sa section !). il est avocat à la Cour d’Appel de Paris, et, comme tel, parle facilement et … beaucoup. C’est, d’ailleurs, le plus charmant garçon de la terre ; mais ses discours ont le don d’agacer le Capitaine Dard, esprit simpliste, qui a les intellectuels en horreur. Aussi, l’a-t-il déjà rabroué deux ou trois fois.

Au déjeuner, ce matin, nous avons eu un invité, le Capitaine d’Artillerie Boris, de l’État-major de la Division, venu ici en mission5. En attendant le repas, comme je lui tenais compagnie et que nous entendions, au loin, rouler les trains militaires : « Voyez-vous passer beaucoup d’Infanterie ? m’a-t-il demandé. – Oh ! oui, en assez grande quantité.Tant mieux, conclut-il, car, quoique je sois artilleur, à mon avis, il nous faudra énormément d’infanterie pour obtenir une solution favorable de la Guerre »

Il m’a paru un peu pessimiste.

Nous appartenons à la 139e Brigade de la 70e Division d’Infanterie de réserve. Celle-ci comprend, en outre du 226e, le 269e, le 237e, le 271e, le 360e d’Infanterie6, 2 Bataillons de Chasseurs, le 42e & le 44e, des Batteries d’Artillerie fournies par le 8e et le 62e d’Artillerie, deux Escadrons de cavalerie, formés par le 26e Régiment de Dragons- Génie, Santé, etc.

 Historique 226e RI

Ouvrage cité par le Capitaine Proutaux en note de bas de page n°1

 

08 07 la guerre de 14-15 (0)

 

 

1 A défaut de noms de victoires, car on n’a pas cru devoir inscrire sur les Drapeaux de nos Régiments – à part, peut-être, celui des fusiliers-marins- le nom des combats victorieux auxquels ils ont pris part, le drapeau du 226e est resté mutilé et teint de sang du Colonel  Fernier, tué à ses côtés le 10 Octobre 1914, à la Targette (Historique du 226e). (note de l’auteur)

Sur le même sujet, j’ai découvert un site où est posée la question du sort du drapeau du 226e. Le carnet de mon aïeul répond à cette interrogation. Site : http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/relique-drapeau-226e-sujet_5470_1.htm (NDLR)

2 Composition de l’État-major du Régiment :

Lieutenant-Colonel Hoff, commandant le Régiment

Capitaine Flaubert, Adjoint au Colonel

Sous-Lieutenant de cavalerie de Castex, Adjoint au Colonel

Lieutenant Longchamp, officier-payeur

Lieutenant Didillon, officier d’approvisionnement

Lieutenant Tonnin, Porte-Drapeau

Lieutenant X, officier téléphoniste

Lieutenant Denis, mitrailleur

Sous-Lieutenant Vidaleau, mitrailleur

Médecin-Major 2e classe Dumas, chef de service. (note de l’auteur)

3 En rentrant un soir, ou plutôt une nuit, d’une de ces séances à la popote du Colonel, il m’est arrivé une bizarre petite aventure qui n’a pas laissé de m’impressionner très désagréablement. Le Capitaine Dard m’avait chargé de transmettre à l’adjudant, une recommandation pour le lendemain, mais, dans l’obscurité complète, il m’avait été impossible de retrouver le cantonnement des sous-officiers ; aussi, apercevant une fenêtre éclairée, j’avais frappé afin d’essayer de me renseigner. Comme, de l’intérieur, on m’avait dit d’entrer, je pénétrai dans une grande pièce où je trouvai un homme d’âge moyen, assis au chevet d’un lit dans lequel était couchée une femme qui devait être très malade car son visage était rouge écarlate et l’éclat de ses yeux décelait une fièvre intense. Certainement, c’était chez une moribonde que je venais de pénétrer. On ne put, d’ailleurs, me donner aucun renseignement et, comme bien on pense, je ne m’attardai pas longtemps en ce lieu ; mais, ainsi que je  le dis plus haut, cet incident me causa une profonde et funèbre impression ; je n’en parlai à âme qui vive et, pendant de longs mois, et même des années, je le considérai comme un mauvais présage. (note de l’auteur)

4 Le Lieutenant Denis, fils de l’éminent professeur en Sorbonne, a été tué à Courbessaux le 25 Août 1914. Au sujet de sa mort, on m’a raconté que son corps, retrouvé 4 ou 5 jours après le combat, était dans une attitude laissant supposer qu’il s’était suicidé avec son revolver d’ordonnance. On pense que, très grièvement blessé auprès de ses pièces, et ne recevant aucun secours, il avait abrégé ses souffrances en se donnant lui-même la mort. Je n’ai, d’ailleurs, jamais pu obtenir confirmation de ces faits. (note de l’auteur)

5 Le 25 septembre 1927, le J.O. publie la promotion au grade de Colonel du Lieutenant-Colonel Boris, de l’État-major de l’Armée (maintenu). Le Colonel Boris, nouvellement promu, n’est autre que le Capitaine Boris, de l’État-major de la 70e Division d’Infanterie, dont il est parlé ci-dessus. En Août 1914 – Promu au grade de Général de Brigade et nommé au commandement de l’artillerie de la 1e Région à Lille. (note de l’auteur)

6 Tous ces régiments d’Infanterie sont à deux Bataillons (5e & 6e) ; Les Bataillons de Chasseurs, à 4 Compagnies, ce qui représente en tout, 12 Bataillons, soit le même nombre que les Divisions actives normales. (note de l’auteur)

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Commentaires
L
j'espère avoir une réaction du site mentionné en note n°1
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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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