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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
26 août 2014

26 Août 1914

26 Août 1914

Nous avons été ramenés hier soir à Lénoncourt, village distant de quelques kilomètres seulement du lieu de combat. Ici, tout est calme, plus de fusillade, plus de canonnade.

Au cours de la matinée, je profite du repos qui nous est laissé pour faire un rigoureux appel de la Compagnie et la réorganiser avec les éléments qui me restent. Burger[1], l’adjudant, est blessé ; le sergent-major, Vuillaume, est disparu ; une centaine d’hommes, à peine, répondent à leur nom. Hier, j’en avais 240 !

J’ai passé une bonne nuit, ayant eu la chance de trouver un lit convenable. Cela m’a fait du bien.

Mon fourrier me rapporte le fait navrant suivant : il était, hier, de liaison auprès du Capitaine Dard avec ses trois camarades du Bataillon. Lorsque notre chef est frappé, se sentant mortellement atteint, et les yeux déjà voilés par la mort, il sort une lettre de sa sacoche et la remet au premier qui se trouve à sa portée en disant : « Pour le Lieutenant Proutaux ». C’est le fourrier Pède, de la 20e, qui reçoit le précieux dépôt. Ce dernier, de concert avec Comailles, mon fourrier, saisissant le Capitaine par les épaules et par les jambes, cherche à ramener le corps en arrière. Sur ces entrefaites, éclate un gros noir[2] à côté du groupe. Comailles étourdi, lâchant son fardeau, est projeté à plusieurs mètres. Quand il reprend ses sens, Pède[3] n’est plus présent ; il n’a jamais reparu et je n’ai pu, ainsi, être mis en possession du pli qui m’était destiné et qui contenait les dernières volontés du pauvre Capitaine Dard…

obus de 150 pouldhu http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/annonces-pages-collectionneur/armement-munitions/identification-obus-munitions-sujet_5222_1.htm

 

« gros noir », obus allemand de 150 (photo prise par pouldhu et identifiée sur http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/annonces-pages-collectionneur/armement-munitions/identification-obus-munitions-sujet_5222_1.htm )

Le sergent Chanot me raconte qu’au cours du combat, alors qu’il avançait en utilisant au mieux un fossé qui abritait un peu ses hommes, il aperçoit à peu de distance, un groupe d’Allemands levant les bras en l’air et manifestant ainsi l’intention de se rendre. Il va s’élancer sur eux quand ces bandits, ouvrant leurs rangs, démasquent une mitrailleuse qui se met à crépiter avec fureur. Décidément, c’est temps perdu de croire que ces gens sont capables de faire la guerre loyalement.

Ce soir, vers 16 heures, alors que nous pensons passer encore la nuit à Lenoncourt, l’ordre de départ est donné. Où nous emmène-t-on ? Ô surprise ! nous prenons la direction de l’ennemi. La pluie se met à tomber ; nous nous arrêtons dans un champ où, en faisant le gros dos, nous essayons de donner le moins de prise possible à l’averse. A la nuit noire, on nous prescrit d’occuper Haraucourt en cantonnement d’alerte. Les Boches n’ont pas gagné de terrain puisque nous sommes tout à proximité de l’endroit où nous avons combattu il y a quelques heures.

Haraucourt en 1914 après un bombardement (photo prise par R@koto sur http://www.cparama.com/forum/haraucourt-t17070.html )

Haraucourt en 1914 après un bombardement (photo prise par R@koto sur http://www.cparama.com/forum/haraucourt-t17070.html )

Le village semble abandonné par ses habitants. Je prends possession d’une assez vaste maison où je puis me loger, ainsi que tout mon monde. Je donne également l’hospitalité à Bertin et à Argant. Nous avons, d’ailleurs, décidé, puisque nous ne sommes plus que nous trois au Bataillon, quatre, plutôt, car il faut aussi compter notre excellent toubib Hanns, de ne plus nous séparer et, en mettant nos ressources en commun, de ne faire qu’une seule popote.



[1] Après guérison de sa blessure du 25 août, l’adjudant Burger a été promu sous-lieutenant. Revenu au front, il est une seconde fois évacué pour blessure peu de temps après. De retour au Régiment pour la 3e fois, il est tué le 28 novembre 1916. Les Burger étaient trois frères, au 26e et au 226: deux ont été tués, le 3e, atteint d’une blessure suffisamment grave pour nécessiter son changement d’arme. (note de l’auteur)

[2] Terme utilisé par les Poilus pour désigner un obus de 150 (NDLR).

[3] Ce sergent-fourrier Pède est porté, sur l’Historique du 226e, comme ayant été tué le 25 août 1914. (note de l'auteur)

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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