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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
5 septembre 2014

5 Septembre 1914

5 Septembre 1914

Nous allons prendre position au Nord-Est de Buissoncourt et restons là toute la journée. Les Boches nous arrosent de marmites, mais sans grand dommage heureusement.

A notre gauche, le groupe de batteries d’une Division de Cavaliers, - quelque temps avant la mobilisation, ces batteries ont été dotées d’un canon spécial, c’est un 75, mais dont le tube a été raccourci, et qui est plus léger que le 75 du modèle général- tire avec furie et les détonations sèches et vibrantes de ses petits canons, se succèdent sans arrêt.

A la nuit tombante, le vaguemestre me remet quelques lettres de ma femme, toujours très anciennes. Abrité derrière un buisson, j’en prends connaissance à la lueur d’allumettes qu’allume à cet effet, un de mes sergents, de Caladon.

Dans mes nouveaux arrivés, j’ai distingué trois ou quatre bons lascars que je pourrai, à l’occasion, employer utilement. Parmi ces derniers, figure un Lorrain annexé du nom de Poisson[1].

Né aux environs de Metz, il a dû, pour des raisons de famille, être incorporé en Allemagne afin d’y accomplir son service militaire. Ne pouvant supporter les mille vexations que ne lui ménageaient pas les brutes galonnées boches, il déserta et passa en France. Etabli à Nancy, à l’appel de la mobilisation, il quitte sans délai commerce et famille et s’engage au régiment. Je viens de causer un instant avec lui et je ne souhaite pas à un Teuton de tomber entre ses mains. Quand il parle d’eux, ses clairs yeux bleus lancent des flammes ; c’est un homme.

09 05 Poisson cartes du Tonkin

09 05 Poisson texte des cartes

Des cartes postales envoyées du Tonkin par le Caporal Poisson - Texte du haut : Cao-Bang, le 18-11-1916 - Monsieur Prouteaux, je vous envoie du Tonkin mes vœux de bonne et heureuse année et bonne santé pour l’année 1917. Votre dévoué Caporal Edouard Poisson. Bonne année et bonne santé à votre brave famille.

Texte du bas : Cao-Bang, le 8-1-1917 - Cher Lieutenant, merci de votre bonne lettre d’encouragement et faites-moi savoir la suite si vous plait. Bonne santé et bonne chance. Caporal Poisson.

09 05 Poisson carte mandarin

09 05 Poisson carte mandarin texte

le verso de la carte adressée au Lieutenant Proutaux - Paris

Un autre soldat ayant fait du service en Allemagne, dans les chasseurs, me paraît également très énergique. Il m’est arrivé aussi un Russe, engagé pour la durée de la guerre. Je ne puis m’empêcher de marquer une légère préférence à ces braves qui, librement, viennent combattre sous notre Drapeau.

Nous prenons nos dispositions pour dormir sur place, quand, vers deux heures du matin, il nous est prescrit d’avoir à cantonner à Lenoncourt.

Encore une nuit ratée ! C’est ce que je trouve de plus fatigant dans notre vie aventureuse ; le manque de nourriture n’est rien, à mon avis, à côté du manque de sommeil.



[1] Poisson, dont j’aurai l’occasion de reparler par la suite, n’a pas déçu les espérances que je fondais sur lui. Il était dans mes intentions de le faire nommer Caporal dès que possible. Je n’eus, toutefois, pas le temps de mettre ce projet à exécution, ayant été moi-même évacué avant. Il reçut, néanmoins, ses galons de laine peu de temps après et fut à son tour blessé en décembre 1914. Après guérison et un séjour au dépôt, il est envoyé, en sa qualité d’Alsacien-Lorrain, dans un dépôt de Zouaves en Algérie, puis de là, au Tonkin. Pendant toute la durée de la guerre, il n’a cessé de correspondre avec moi et de m’envoyer de ses nouvelles. Après bien des démarches, j’avais obtenu pour lui une citation à l’ordre de la Division et la Croix de Guerre ; il en avait été bien heureux. Sa dernière lettre, en m’annonçant sa démobilisation prochaine, m’apprenait sa promotion au grade de sergent ; elle me disait également son grand désir de me revoir et qu’il ferait l’impossible, en passant à Paris, pour me rencontrer. Or, depuis cette lettre, je n’ai plus eu de ses nouvelles et j’ai tout lieu de supposer qu’il est mort ; dans quelles conditions, par exemple, je l’ignore absolument. J’ai fait cette supposition en apprenant la visite qui m’a été faite, avant mon retour, par une personne probablement de sa famille, visite sur le but de laquelle je n’ai pu recueillir que de très vagues renseignements. N’ayant plus rien reçu de lui depuis cette époque, je n’ai pu que me confirmer dans cette hypothèse de sa mort. Je regretterai toujours de n’avoir pu revoir ce brave et fidèle soldat, auquel j’ai probablement dû de ne pas tomber, blessé, aux mains des Boches, et, surtout, d’être resté dans l’ignorance absolue des circonstances de sa fin prématurée. 

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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