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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
3 octobre 2014

3 Octobre 1914

3 Octobre 1914

Le Régiment se reforme à 2 ou 3 kilomètres à l’Ouest d’Acheville. Des cartouches sont distribuées.

Je constate que mon sergent-major, qu’au cours de la nuit, j’ai envoyé avec sa section au secours de Bertin, a disparu. Ses hommes me disent qu’il a dû être tué. J’en suis très peiné, car j’avais beaucoup d’estime pour lui. Ah ! pourquoi faut-il que ce soit toujours les meilleurs qui tombent ?

Ma bonne petite jument également n’existe plus. Quelques minutes après l’avoir quittée, hier matin, elle a reçu une balle de shrapnel dans la tête et a été tuée du coup. Le cycliste de la Compagnie m’a annoncé la nouvelle au cours du combat de cette nuit.

Mon ordonnance m’a découvert une autre monture dans une ferme abandonnée. C’est un jeune cheval de 3 ans qui n’a jamais été monté ; va-t-il falloir, maintenant, me mettre à faire du dressage ?

Le Colonel fait rompre les faisceaux[1] et le régiment se met en marche dans la direction de Vimy. A mi-chemin, le Capitaine Durand, m’adjoignant la 20e, me détache en soutien de notre artillerie qu’il m’indique du geste, en position sur un petit plateau faisant face à Méricourt.

Les canons tirent peu ; seule, de temps en temps, une salve est expédiée, sans doute lorsqu’apparaît un objectif intéressant. L’endroit est assez calme ; derrière nous s’étend la grosse agglomération de Lens qui détache à son Sud, le bourg d’Avion dont les corons ne sont pas très éloignés de nous. Très loin, sur notre gauche, se produisent des mouvements de cavalerie et, à la jumelle, je distingue des dragons qui semblent faire du combat à pied.

Les heures s’écoulent, longues – monotones. Pas de ravitaillement, nous n’avons pas mangé depuis 48 heures. Cette inactivité, toutefois, n’est pas inutile aux hommes qui sont bien fatigués.

Vers 17 heures, un dragon m’apporte l’ordre de rallier le Régiment avec mes deux Compagnies. J’enfourche mon cheval indompté et donne aussitôt le signal du départ. A cet instant, je croise un officier d’Etat-Major, un lieutenant de cuirassiers, qui m’interpelle en ces termes : « Savez-vous où vous allez ? –Non, lui dis-je, mais je pense bien qu’on va se décider à nous faire cantonner quelque part. – Ah ! bien, n’y comptez pas, me répond-il, à moins que ce ne soit à Acheville que vous allez attaquer ! » Vlan ! voilà qui va nous remettre tout à fait.

Enfin, nous rejoignons le 226e et le Capitaine Durand me confirme ce que m’a dit le camarade de l’Etat-Major. Le 5e Bataillon seul prend part à l’affaire et attaque dans la direction du Nord-Ouest ; un bataillon de chasseurs doit opérer par le Sud-Ouest, en liaison avec nous.

Au moment du départ, le sous-Lieutenant Sirantoine, le porte-drapeau, vient me demander de lui fournir l’état des pertes de la Compagnie pendant les derniers combats… Inutile de dire qu’il est plutôt mal reçu…

Nous suivons tout d’abord la route de Vimy à Acheville jusqu’à un carrefour où sont plantées quelques maisons. Abrités par ces dernières, nous entendons chanter quelques balles à une assez grande hauteur. Lorsque la nuit commence à tomber, nous nous remettons en marche, ma Compagnie et la 17e en tête. Celle-ci n’a plus d’officiers, elle est commandée par un sergent nommé K. que le Colonel, je crois, a proposé pour sous-Lieutenant.

Nous avançons sans trop de peine jusqu’à proximité d’Acheville. A ce moment, la marche devient plus difficile car une distillerie, ou une sucrerie, flambe au Nord du village ; d’instant en instant, des cuves d’alcool, je suppose, sautent, élevant dans le ciel d’immenses nappes de flammes qui éclairent toute la campagne environnante comme en plein jour. A chaque explosion, j’ai à peine le temps de faire coucher tout le monde afin que notre présence ne se trouve pas décelée.

Aucun bruit ne se fait entendre à notre droite où, cependant, les chasseurs doivent se trouver. Je ne sais pas à quoi attribuer ce calme. Le Colonel me fait dire, par Poisson, qui est détaché auprès de lui comme agent de liaison, qu’en raison même de ce silence, il y a lieu d’accentuer mon mouvement vers la gauche en me faisant prolonger par la 20e. Mais, voilà, celle-ci, qui a comme chef, depuis la disparition de Bertin, le sous-Lieutenant Goury du Rosland, devrait être derrière moi ; or, elle a certainement perdu le contact, car impossible aux hommes que j’envoie à sa recherche, de mettre la main sur elle. Qu’a-t-elle bien pu devenir ?

Je ne perds, toutefois, pas mon temps et mes tirailleurs creusent la terre avec leurs outils portatifs.

Ce calme est tout de même étrange. Tout à coup, je m’entends appeler et le sergent K. qui commande la 17e, surgit à mes côtés : « Le Colonel fait dire, me communique-t-il, que l’attaque doit être abandonnée, les chasseurs n’y participant pas et que le Bataillon va reprendre son emplacement initial à l’Est de Vimy.  - Je commence le mouvement, ajoute-t-il. Et, en effet, il fait rétrograder son unité. Cet incident jette le plus grand trouble dans mon esprit. Ce sergent n’a pas dû inventer cette histoire et, d’autre part, aucun ordre nouveau ne me parvient, ni du Colonel, ni du chef de Bataillon. Bien à regret, je me décide cependant à suivre la 17e. En route, je recueille la 20e qui attendait tranquillement les événements 2000 mètres en arrière.

Nous regagnons ainsi le carrefour où nous étions abrités quelques heures plus tôt. Une section de la 19e nous rejoint, mais aucune trace du Colonel, ni du Capitaine Durand. Je commence à flairer quelque terrible malentendu, pourvu que je n’ai pas laissé mes camarades dans une situation telle que je ne puisse plus les secourir ! Ah ! que n’ai-je suivi mon premier mouvement qui était d’interdire à K. toute manœuvre en retraite et de tâcher de joindre le Colonel pour avoir l’explication de ces ordres contradictoires ! Enfin, peut-être vais-je trouver tout le monde à l’emplacement de la journée. Là, rien. Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Je vais, d’ailleurs, être tout de suite fixé, car arrive un dragon qui me réclame et me prescrit, de la part du Colonel, d’avoir à reprendre la direction d’Acheville avec tous les éléments du Bataillon.

Je repars donc sans tarder et retrouve la 19e Compagnie à hauteur du carrefour précité, qui tiraille en se repliant. Quelle n’est pas ma surprise, en arrivant, de reconnaître la silhouette et la voix du Capitaine Bérault, évacué hier. Il est à côté du Colonel, et tous deux m’accueillent avec des exclamations : « Enfin, d’où venez-vous ? » s’écrient-ils. En deux mots, je les mets au courant de ce qui s’est passé et le sergent K., appelé, l’attitude plutôt embarassée, s’attire les dures paroles que mérite sa conduite inexplicable. Je crois que, loin de recevoir le galon de sous-Lieutenant qu’il attend, ses sardines de sergent sont bien en danger, car l’affaire n’en restera sûrement pas là[2].

En attendant, il ne peut plus être question de reprendre la marche sur Acheville. Je suis, néanmoins, soulagé en voyant que ce malheureux incident n’a causé la perte d’aucun.

Nous résistons le plus longtemps possible en nous abritant derrière les maisons et les murs. Cette affaire, mal emmanchée, au lieu de retarder la marche de l’ennemi, n’aura eu, je crois, d’autre résultat que d’accélérer davantage son avance.

Le petit jour nous surprend n’ayant plus à lui opposer qu’une mince ligne de tirailleurs, fantassins et chasseurs, jalonnée de place en place par des meules de blé. Tant bien que mal abrité derrière une de ces meules, j’aperçois des guerriers casqués et vêtus de vert, franchissant la crête qui nous fait face. Il y en a, il y en a, cela grouille de tous les côtés ; ils ne prennent même plus la peine de se coucher ou de s’agenouiller pour tirer. Je commande quelques feux qui, je l’espère, en ont mis un certain nombre à mal.

A ce moment, arrive l’ordre de nous retirer sur Vimy.

 

10 03 Vimy

Les ravages de la guerre sur la commune de Vimy (coll. pers.)



[1] Faisceaux : Lors des bivouacs et des haltes suffisamment longues, l’ordre est donné de mettre les fusils en faisceaux, c'est-à-dire les reposer verticalement par groupe de trois, en triangle, adossés ensemble par leurs canons. Les hommes alignent sur le sol leur barda et leurs armes, de manière uniforme. Ils peuvent alors quitter ces « faisceaux » d’armes qui restent seulement à la garde et surveillance d’une sentinelle. « Lexique des termes employés en 1914-1918 » par le CRID 14-18, http://www.crid1418.org (NDLR)

[2] Quelques mois après, j’ai, en effet, appris que ce sergent, pour cette extraordinaire aventure, à laquelle étaient venues s’ajouter d’autres fautes, avait été cassé de son grade. Plus tard, cependant, sa conduite s’étant sans doute améliorée, il a regagné ses galons de sergent et même obtenu ceux de sous-Lieutenant. (Note de l'auteur)

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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