Regards croisés
Au cours de ce second trimestre 1914…
Comme tout être humain, j’ai deux grands pères biologiques. Le grand père maternel, Lucien Proutaux, les lecteurs commencent à le connaître. Il est franc, simple et assez conservateur. Il est très attaché à la famille, il a le respect des anciens et vénère sa femme et ses deux petites filles.
Mon autre grand père, le paternel, est aux antipodes de Lucien… Il est beaucoup plus jeune (il est né en 1889), fantasque, susceptible, iconoclaste et ne respecte pas grand-chose. Il n’a aucun sens de la famille et n’a pas eu le courage de reconnaître son enfant (mon père). Il a cependant des points communs avec Lucien. En dépit de son esprit rebelle, ses idées politiques sont plutôt à droite. Et il est très patriote. Il est de la classe 1909 mais a été réformé en 1910 pour « faiblesse générale ». Le 7 septembre 1914, il s’engage avec enthousiasme dans le 9e régiment de hussards. Il commence ainsi sa guerre dans la cavalerie. Nommé cavalier de 2e classe le 13 septembre, il est promu Brigadier le 8 novembre 1914.
Henry Postel du Mas (tel est son nom) ne racontera pas sa guerre. Son ton désinvolte laisse à penser que rien ne l’affecte. En réalité, ce qu’il aura vécu, pendant la guerre, le traumatisera, psychologiquement, autant que les douleurs physiques et morales endurées par Lucien Proutaux, mais chacun réagit à sa manière… C’est à travers quelques lettres envoyées à ma grand-mère, Lucie Dyvorne, que j’ai pu retracer cette période de sa vie. La missive qui suit lui fut expédiée au cours du second semestre 1914.
Henry Postel du Mas et en médaillon, Lucie Dyvorne (coll. pers.)
Jeudi
Amie, bonjour,
Croyez-vous que l’on s’amuse ici ; hier, en jouant à l’attaque d’une tranchée avec des petits camarades de mon âge, j’ai écopé d’un éclat de grenade dans le bras et on parle à présent de m’envoyer à l’hôpital. Pour achever la farce dignement, on veut me faire tout à l’heure une piqûre antitétanique… Moi je trouve que ceci est un supplément sans aucun sel mais il paraît que c’est nécessaire.
Ecrivez-moi. Je vais m’embêter pendant une semaine. Vous me ferez part de mon effigie, n’est-ce pas ? Que je sache au moins sous quel jour je vais passer à la postérité, à votre postérité bien entendu. Cela m’inquiète beaucoup, j’ai à ce sujet une fichue coquetterie.
N’omettez pas non plus de me tenir au courant de vos fantaisies ambulatoires. Que je n’aille pas au quartier du Champ-de-Mars en passant par Montmartre, à l’occasion.
Je vous baise les mains.
HP
Centre d’Instruction. E.C.S. du G.A.N. S.P. 182[1]