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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
16 mars 2015

16 Mars 1915

16 mars 1915

Je viens, enfin, d’être opéré et, depuis hier, ma jambe est enfermée dans un appareil de plâtre. De semaine en semaine, on remettait cette opération et je soupçonnais fort que l’on agissait ainsi pour me faire prendre patience, car voilà déjà cinq mois passés que je suis couché ! Si, au début, on m’avait laissé entrevoir que j’aurais à rester aussi longtemps immobile, peut-être aurais-je manqué de courage pour affronter ce long supplice ! Enfin, dans six semaines ou deux mois au maximum, on m’enlèvera l’appareil que l’on vient de me poser et le Dr Faure m’a promis que, si ma jambe s’était bien comportée, il me permettrait de me lever en faisant usage de béquilles ; aussi, en prévision de ce sensationnel événement, la petite sœur a déjà réquisitionné une paire de ces instruments de torture, ce qu’elle a pu trouver de mieux dans tout l’hôpital.

Dans le courant du mois de janvier, j’ai eu l’immense et douce joie de revoir ma petite Denise que ma femme a eu la charmante pensée de faire venir à mon insu.

1915 03 16 certificats recto 

Certificat permettant à la jeune Denise Proutaux de venir à Paris voir son père à l'hôpital, daté du 15 janvier 1915 et délivré par le maire de Mirambeau, qui est son grand père maternel.

Combien grand et inexprimable a été mon bonheur en voyant, pour la première fois, cette mignonne enfant entrer dans ma chambre dont elle se refusait à franchir le seuil, se demandant, sans doute, dans sa petite imagination, quel effrayant spectacle allait s’offrir à ses yeux ! Elle n’a, du reste, pas tardé à me reconnaître et à se familiariser et, au moment du départ, ne se décidait plus à me quitter. Elle n’a pas voulu retourner en Saintonge avec ma belle-sœur[1] et, depuis cette époque, accompagne régulièrement sa maman dans ses visites quotidiennes.

1915 03 16 dessin Denyse verso

au dos du certificat, Denise a dessiné "deux belles dames" pour son papa.

Je disais, un peu plus haut, que j’étais tout à fait sans nouvelles du 226; il n’en est plus de même maintenant. J’ai d’abord reçu, dans les premiers jours de janvier, la visite d’un de mes hommes, de la 18e, Gandet, mon concitoyen de Clichy, blessé un ou deux jours avant moi et venu me voir au cours de sa permission de convalescence de 6 jours ; on accorde, en effet, une permission de cette durée aux soldats blessés, avant leur retour au dépôt, lorsqu’ils sont guéris.

Ce brave garçon m’a dit combien il avait été surpris en apprenant, chez un commerçant du voisinage de ma mère, que je n’étais que blessé alors qu’au Régiment, et principalement au Bataillon et à la Compagnie, tous me croyaient mort[2]. Aussi, s’était-il aussitôt informé de mon adresse et là, à mon chevet, il me faisait part de sa joie de me trouver, sinon tout à fait bien portant, du moins bien en vie.

J’ai eu aussi d’autres renseignements sur le 226e par deux officiers du Régiment, blessés en décembre, que le hasard a conduits à l’Hôpital auxiliaire n°49.

C’est, d’abord, le sous-lieutenant Combier[3], que j’ai connu sergent-brancardier, et dont j’ai déjà parlé plus haut, et, ensuite, un jeune forestier du nom de Bretonnet, sorti de « Fagot »[4] pour la mobilisation et arrivé au Régiment avec le premier renfort venu combler les vides causés par les combats d’Artois d’Octobre 1914.

Ce n’est que quelque temps après leur arrivée que j’ai eu vent de leur présence et cela par mon excellent camarade de chambre Léandri[5] que je suis heureux de toujours posséder car, en dehors de ce qu’il est un brave et excellent homme, c’est le compagnon le moins encombrant que l’on puisse trouver car il n’est jamais là.

Combier et Bretonnet sont venus me voir à différentes reprises dans ma chambre et je laisse à penser le plaisir que j’ai éprouvé à entendre parler par eux de mon pauvre 226e, qui ne serait plus guère reconnaissable pour moi, bien certainement.

Ils ont été blessés assez légèrement, heureusement, aux affaires de Décembre, affaires auxquelles la 70e Division a pris part, mais qui n’ont donné que peu ou pas de résultat, sinon des pertes assez considérables en tués et en blessés.

Bien des morts nouvelles m’ont été ainsi apprises ; Goury du Roslan[6], entr’autres, et j’ai eu également, de la sorte, quelques détails sur la mort du Colonel Fernier[7] qui semblerait bien, d’après l’opinion générale, avoir été au devant de la mort presque volontairement, en désespéré ; sur la fin d’Argant[8], tué par un obus au Cantonnement. Ils m’ont appris aussi l’évacuation de de Caladon[9], blessé au bras en même temps qu’eux ; la blessure assez grave (sa troisième) de mon Chef de Bataillon, le Capitaine Bérault[10], survenue une semaine ou deux après la mienne (Il avait, entre-temps, reçu, je crois, son quatrième galon).

Notre médecin de Bataillon, le Dr Hanns[11], est toujours là ; je me propose toujours de lui écrire et, jusqu’ici, je n’ai pas encore eu le courage de le faire.

Complètement guéris, les Sous-lieutenants Combier & Bretonnet sont partis depuis un certain temps déjà et, leur convalescence terminée, ont dû regagner le Dépôt.

1915 03 16 Denise maison de santé

Dessin de Denise Proutaux, âgée de 6 ans, "Hommage de l'auteur", où elle décrit ce qu'elle voit lors de ses visites quotidiennes à son papa.



[1] La belle-sœur est Marie Broussard (1870-1955), sœur aînée de Julie, mariée à André Broussard (1865-1920), maire de Baignes Sainte Radégonde en Charente, juge de paix et riche propriétaire. (NDLR)

[2] Quelques jours plus tard, Gandet me confirmait, en effet, par lettre, qu’au dépôt également, je passais pour mort. En 1916 ou 17, un sergent de la Compagnie, Trempol, que j’avais eu l’occasion de voir une ou deux fois, m’a raconté que la version de ma mort était la suivante : on savait effectivement que j’avais été blessé à la jambe, mais, on ne s’était pas aperçu que j’avais également reçu une balle dans le ventre et cette dernière blessure avait déterminé la mort au cours de mon transport en chemin de fer. Voilà comment on écrit l’histoire. Le plus fort, c’est que l’oncle de ma femme, maire de la commune natale de cette dernière (NDLR : il s’agit d’Emile Furet, banquier et maire de Mirambeau en Charente-Inférieure –aujourd’hui Maritime- élu en 1912), où elle s’était réfugiée auprès de sa mère au début de la campagne, avait reçu un avis officiel de mon décès, avis qu’il n’avait pas osé transmettre immédiatement à sa nièce, dans la crainte de l’effrayer, crainte bien superflue d’ailleurs, puisque quand a été reçu cet avis, il y avait déjà près de deux mois qu’elle était auprès de moi. (Note de l’auteur)

[3] Combier, père jésuite dans le civil, est cité le 27 septembre 1914. (NDLR)

[4] Désigne un étudiant sorti de l’école forestière. (NDLR)

[5] Lucien Proutaux a retrouvé le capitaine Léandri et en parle le 1er janvier 1915. (NDLR)

[6] Goury du Roslan est cité les 3 et 4 octobre 1914. (NDLR)

[7] Le Colonel Fernier apparaît pour la première fois le 8 septembre, puis les 4 et 5 octobre 1914. (NDLR)

[8] Lucien Proutaux fait la connaissance du Sous-lieutenant Argant dès le 2 août 1914. Il le cite au cours des journées des 5, 10,25, 26, 27 août, des 2 et 13 septembre 1914. (NDLR)

[9] Le sergent puis Sous-lieutenant de Caladon est un proche camarade de Lucien Proutaux: il est cité les 5, 10, 16, 27 et 30 septembre, les 1er, 2, 4 et  5 octobre 1914. Il survivra mais sera fait prisonnier. (NDLR)

[10] Le Capitaine Bérault apparaît les 13, 28 et 30 septembre, puis les 2 et 4 octobre 1914. (NDLR)

[11] Le Docteur Hanns, avec qui Lucien Proutaux entretiendra des relations amicales jusqu’à la mort, est cité les 6, 13 et 26 août, 13, 27 et 28 septembre, 2 octobre 1914. (NDLR)

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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