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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
20 mai 2015

20 Mai 1915

20 mai 1915

On m’a enfin enlevé, il y a deux ou trois jours, l’appareil de plâtre qui immobilisait ma jambe depuis deux mois et celle-ci semble s’être enfin décidée à se consolider, car je puis, sans peine, la lever en l’air, sans pouvoir, toutefois, fléchir le genou. Mais le Dr Faure, par mesure de prudence, veut encore me poser un nouvel appareil en gaze imprégnée d’une composition silicatée, avec une armature en fer, ce qui me permettra de me lever. Enfin ! peut-être vais-je pouvoir abandonner mon lit ! Mais je me demande si je serai capable de me tenir debout, moi qui suis couché depuis près de huit mois !

1915 05 incendie de Creil (2)

Carte postale adressée au Lieutenant Prouteau (sic), Hôpital Canadien, en mai 1915. (coll pers.)

1915 05 20 Lucien alité

Lucien sur son lit d'hôpital année 1915, jour non précisé (Coll. pers.)

Le jour où l’on m’a déplâtré, j’ai eu le plaisir de recevoir la visite de deux officiers du 226e, le Capitaine Verge et le sous-Lieutenant Combier. J’ai déjà parlé du second[1] ; quant au premier, je l’ai connu comme lieutenant au début de la campagne. Il était à la 17e Compagnie et a été évacué pour diarrhée, je crois vers le 15 août, échappant ainsi au combat de Courbesseaux au cours duquel les trois autres officiers de sa compagnie ont trouvé la mort ; revenu en renfort vers la mi-octobre, il a été plus favorisé que moi et a récolté un troisième galon avant d’être de nouveau évacué, pour laryngite, cette fois, vers fin décembre. Excellent camarade, d’ailleurs.

père Charles Combier en 1909

Le père Combier (en 1909) (in La Météorologie française au Levant 1921-1929, de Jacques Damiens, 1995. Jacques Damiens écrit: Après avoir été déserté durant les hostilités, l'observatoire centre son activité, à partir de 1920, sur le développement de la météorologie et de la climatologie, sous l'impulsion du nouveau directeur, le Révérend Père Charles Combier."

 

annonce décès Combier

Voici les circonstances du décès du père Charles Combier, le 8 juin 1950, communiquées par les archives des Jésuites de France: "Le P. Charles Combier, directeur de l'observatoire de Ksara, était venu à Paris pour les affaires de l'observatoire.Il se trouvait, le soir du 6 juin, dans une voiture conduite par l'un de ses neveux. La voiture fut violemment heurtée par celle d'un médecin. Grièvement blessé, jambe fracturée, genou très abimé, choc violent à la tête, le Père, dans le coma, fut transporté à l'hôpital de la Pitié, et ne retrouva presque pasde connaissance. L'état du coeur ne permettait pas une opération immédiate0 Le Père fut administré par l'aumônier de l'hôpital. A son chevet se rendirent les PP. de Bourmont (de la rue de Grenelle), Poidebard (de passage à Paris), et Al Marachy. Malgré les soins empressés le P. Combier expirait le 8 juin."

Ils m’ont donné quelques nouvelles du Régiment, pas très fraîches, du reste, car il y a quelque temps qu’ils en sont éloignés tous deux, et n’ont même pas m’affirmer d’une façon certaine, que la Division prenait une part effective et active à l’offensive qui se déroule depuis une douzaine de jours, en Artois, à peu de distance de l’endroit où je suis tombé. Quant à moi, j’ai la conviction absolue que le 226e, qui n’a guère bougé de cette contrée, doit être engagé dans les récents combats mentionnés dans les derniers communiqués. Et dire que je suis toujours cloué sur mon lit comme un pauvre invalide et ne puis contribuer à reprendre, avec ce qui reste des hommes de ma brave 18e, le terrain que nous avons été contraints de céder pied à pied aux Boches, en Octobre dernier !

Les semaines succèdent aux semaines, les mois s’ajoutent aux mois, et l’on n’entrevoit toujours pas la fin de cette horrible guerre ; aussi, le beau zèle que montraient, au début, les bonnes dames de la Croix-Rouge, commence-t-il sérieusement à se ralentir. Une à une, elles rendent leur tablier et quittent leur voile blanc pour rentrer chez elles. C’est ainsi que la comtesse de Bobet a abandonné ses fonctions d’infirmière bénévole, il y a environ un mois, pour se reposer et reprendre la direction de sa maison qu’elle me disait avoir beaucoup négligée depuis le commencement de la guerre. Heureusement, la petite sœur reste, elle, et son dévouement, ainsi que celui de ses compagnes, ne se mesure pas à la durée plus ou moins longue du fléau qui ravage notre pauvre pays.

J’ai reçu, dans ma chambre, la visite d’un certain nombre de personnalités et, parmi les plus marquantes, celles du romancier Paul Bourget, en quête de documentation pour un nouveau roman, paraît-il[2] ; de M. Maurice Herbette, directeur des Affaires Politiques au Ministère des Affaires Etrangères[3], etc.

1915 05 20 Bourget 1852 1935 - Le sens de la mort

Paul Bourget (1852-1935) et son roman inspiré de l'Hôpital Canadien, écrit entre mai et août 1915.

Pour le moment, je suis le seul occupant de la chambre « Coquelicots », mon excellent compagnon Léandri étant parti au début du mois de Mai avec, en poche, un congé de convalescence qu’il se propose de passer à Perpignan, sa ville de garnison. En nous quittant, nous nous sommes bien promis de nous revoir avant longtemps, car il compte faire l’impossible pour être affecté à un service quelconque à Paris, lorsque sa convalescence sera terminée. Maintenant qu’il a goûté de la vie de la capitale, il tient absolument à revenir dans cette dernière, m’a-t-il affirmé.

Ainsi que j’en avais l’intention depuis plusieurs mois, je me suis enfin décidé à écrire à mon camarade le Dr Hanns et j’ai bien fait car, par retour de courrier, il m’a répondu dans les termes les plus amicaux en se proposant, par la suite, de me donner régulièrement des nouvelles du Régiment. Combien celui-ci a changé, depuis mon départ ! « Le 226e, me dit-il, mon pauvre Proutaux, ah non, vous ne le reconnaitriez pas. La popote des Officiers du 5e Bataillon existe toujours mais ce ne sont plus les mêmes qui la composent. Le Commandant Durand a été évacué et est remplacé par le Commandant Hartmann, venu du 69; la 18e Compagnie (la vôtre) est commandée par Bertrand, elle a pour lieutenants Simon, venu du 26e actif et un St Cyrien, Lang ; la 19e est commandée par le Lieutenant Baur (adjudant-chef au début de la campagne), les Sous-Lieutenants sont Kremel et Doguela ; la 20e, Capitaine de la Ruelle, Lieutenants Bürger & Henri, un ancien Sous-Officier de Hussards ; la 17e, enfin, commandée par Missoffe, Sous-Lieutenants Guérin du Marteray & Laurence[4]. »

1915 05 20 Vimy & le 226e

Extrait de l'Historique du 226e R.I. pendant la Grande Guerre 1914-18 se rapportant à la période citée par Lucien Proutaux.



[1] Combier, père jésuite dans le civil, est cité le 27 septembre 1914 et le 16 mars 1915. Il s'agit ici du père Charles Combier (1880-1950), météorologiste et directeur de l'observatoire de Ksara au Liban à partir de 1920. Son parcours est décrit dans l'ouvrage de Jacques Damiens, historien de la météorologie, intitulé La Météorologie française au Levant (1921-1929) (in La Météorologie, 8e série -avril 1995). L’archiviste des jésuites de France, Robert Bonfils sj, en date du 12 mai 2015, répond à ma requête d’identification : «  Oui le sergent brancardier, puis sous-lieutenant et lieutenant Charles Combier, dont parle votre lointain parent est bien le jésuite qui a travaillé à l'observatoire de Ksara au Liban. Il a été décoré de la Croix de guerre et de la légion d'honneur. Je n'ai pas de photo de lui ni de notice le présentant. Je vous scanne l'annonce de sa mort dans la feuille de nouvelles jésuites Courriers de Lyon d'avril-juin 1950. » (NDLR)

[2] Le roman en question a, en effet, paru dans le second semestre de 1915 et a pour titre : « Le sens de lDa Mort », et on y trouve la description d’une clinique de la Rive-Gauche transformée en hôpital temporaire – c’est du reste, le théâtre de l’intrigue du roman – qui ressemble à s’y méprendre à l’hôpital auxiliaire 49… (note de l’auteur)

[3] Maurice Herbette (1871-1929) :  Diplomate, historien de la diplomatie et traducteur. Licencié ès lettres puis secrétaire d'ambassade. Chef du service des internés civils ennemis en France et des Français internés civils en pays occupés par l'ennemi, 1914-1919. Membre des commissions des prisonniers de guerre du ministère des affaires étrangères 1918-1920. Secrétaire de la conférence internationale pour la répression de la traite des blanches, 1902. Ambassadeur à Bruxelles en 1929. - Directeur des affaires administratives et techniques du Quai d'Orsay. (NDLR)

[4] C’est vers cette époque également que j’ai reçu la première lettre de mon fidèle Poisson, lettre dans laquelle il me disait, en un langage naïf mais combien sincère, sa joie de me savoir encore en vie et son grand désir de me revoir.

Ces marques d’affection et d’estime émanant de mes anciens soldats ont pour moi un bien autre prix que les plus élogieuses citations et les décorations les plus recherchées.

C’est ainsi que j’ai toujours précieusement conservé une feuille de carnet sur laquelle l’un d’eux avait, au crayon, écrit la phrase suivante adressée à une de ses parentes afin qu’elle fasse son possible pour savoir ce que j’étais devenu et lui envoyer de mes nouvelles : « Un lieutenant de notre Compagnie, Proutteau, blessé à la jambe, habite également 7 place de la République (c’était l’adresse de ma mère). C’était un sympathique et brave officier qui a été touché en ralliant des hommes de sa Compagnie… »

Ce brave, qui s’appelait Lintermand, était devenu Sergent et est tombé au Champ d’Honneur le 13 juillet 1915. (note de l'auteur)

 

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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