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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
2 mars 2016

2 Mars 1916

2 mars 1916

Il y a plus de 6 mois que je suis en convalescence et, pendant ce laps de temps, rien de bien notable ne s’est produit dans mon état ; toutefois, je ne fais plus usage que d’une seule canne pour me mouvoir, mais les plaies de ma jambe continuent à ne pas vouloir se cicatriser…

Si, cependant, il s’est passé quelque chose de nouveau pour moi : depuis aujourd’hui, ma vareuse s’adorne d’une croix de Guerre[1] qui vient de m’être remise par le Commandant Dumolin, Chef de l’Etat-Major du Général Commandant le Département de la Seine, à la suite d’une citation à l’ordre du 33e Corps d’Armée dont j’ai été l’objet et dont voici le texte :

  10ème Armée – 33e Corps d’Armée –

Ordre du Corps d’Armée n°92 –                                                             Croix de Guerre de Lucien Proutaux (coll. Pers.)   

1916 03 02 croix de guerre Lucien (1)

Le Général commandant le Corps d’Armée, cite à l’ordre du Corps d’Armée : 

Le Lieutenant de Réserve Proutaux - Lucien – Charles – Gabriel,

du 226e Régiment d’Infanterie

"a donné, le 4 Octobre 1914, le plus bel exemple d’énergie en ralliant des éléments égarés et en maintenant la "Compagnie en position pendant toute la nuit pour assurer le repli des autres unités. A été blessé grièvement en "exécutant au petit jour l’ordre de se dégager."

Q.G. le 22 janvier 1916

Le Général Commt le 33e Corps d’Armée

Signé : Fayolle

1916 03 02 Lt Colonel Eugène Titeux

Portrait du Lieutenant-Colonel Titeux cité dans la note ci-dessous, extrait de l’ Historique de la 42e promotion de l’École impériale spéciale militaire de Saint-Cyr (1857-1859), promotion de l’Indoustan, page 4 (http://www.saint-cyr.org/fichiers/promotions-eteintes/1857-1859-42e-promotion-de-l-indoustan.pdf )

 

Au cours de cet hiver, j’ai eu la visite de quelques-uns de mes anciens subordonnés de la 18e, entr’autres, celle de Chanot, Sergent-Major à la Compagnie et promu adjudant sur ma proposition, mais, malheureusement, au 6e Bataillon. Blessé accidentellement, il a été versé dans l’auxiliaire et, à la suite d’une circulaire ministérielle prescrivant de renvoyer chez eux les blessés appartenant à une classe de la territoriale versés dans l’auxiliaire –ce qui est son cas- il est rentré dans ses foyers ; il a repris ses occupations civiles et est venu me voir une fois ou deux.[2]

Une autre visite m’a été très sensible et m’a particulièrement ému : un beau soir, on frappe à la porte et ma femme, qui va ouvrir, se trouve en présence d’un jeune sous-officier qui lui demande à me voir. On l’introduit auprès de moi et quelle n’est pas ma surprise de reconnaître Fareu, caporal à ma Compagnie, que j’avais envoyé en reconnaissance le 2 octobre 1914, à Bois-Bernard, avec quelques hommes de son escouade et duquel je n’avais plus jamais entendu parler depuis cette époque. Toutes les fois que l’occasion s’en était offerte, je m’étais efforcé d’apprendre quelque chose sur son compte, mais sans succès, et je le considérais comme disparu et tué, probablement… Grâce à Dieu, ce brave garçon s’était tiré d’affaire à son avantage, avec une blessure toutefois, et j’étais heureux de le voir bien vivant devant son chef qui, de son côté, n’avait pas oublié !

Le mois dernier, les Boches nous ont de nouveau gratifiés d’un raid de leurs monstrueux Zeppelins. Deux ou trois de ceux-ci ont réussi à traverser les tirs de barrage et ont laissé tomber quelques bombes sur Paris ; les quartiers de la Villette et de la Chapelle sont ceux qui ont le plus souffert. Un immeuble entier s’est effondré, causant ainsi la mort de 4 ou 5 personnes. Sur le boulevard extérieur, la voie du métro a été mise à découvert, par une bombe, sur une longueur d’une quinzaine de mètres.

 1916 03 02 Zeppelin-dessin d'élève

Dessin d’élève – 1916 file:///C:/Users/dell/Downloads/ZEPPELIN_PARIS.pdf

 

Loin de diminuer d’intensité, la guerre qui dure depuis 14 longs mois, semble vouloir reprendre de plus belle. Voilà 15 jours que, presque quotidiennement, les Boches, cherchant une décision de ce côté, lancent, sans arrêt, de formidables attaques sur Verdun. Ces attaques sont précédées d’une préparation d’artillerie qui n’a, jusqu’ici, jamais été égalée, paraît-il. Ils ont avancé dans certains coins, mais le terrain ne leur est cédé que pied à pied. Le premier jour, la surprise aidant, ils ont gagné pas mal de terrain, ayant déclenché leur offensive dans un secteur réputé pour sa tranquillité depuis septembre 1914 et dans lequel les travaux de défense étaient, pour ainsi dire, inexistants. C’est au cours de la première attaque que le Lieutenant-Colonel Driant[3], député de Nancy (Le Lieutenant-Colonel Driant était le gendre du Général Boulanger et, sous le pseudonyme de « Capitaine Danrit » avait écrit différents romans sur la Guerre future), qui commandait un groupe de Bataillons de Chasseurs dans cette région, a trouvé une mort glorieuse.

 

1916 03 02 jean mabire driant danrit

Ouvrage consacré à Emile Driant, alias Danrit, «romancier visionnaire, surnommé « le Jules Verne militaire » de son vivant »  http://www.editions-lepolemarque.com/products/driant-danrit/

 Toutes les divisions à tour de rôle, passent dans cet enfer ; la 70e ira bien certainement, et moi, pauvre impotent, je suis toujours ici…

L’impression générale est que nos ennemis ne réussiront pas à percer notre front et que, là comme ailleurs, ils devront renoncer à gagner la route de Paris !

 



[1] On sait que vers le mois de mars ou d’avril 1915, une loi a été votée par le Parlement français, sur la proposition de Maurice Barrès, créant une nouvelle décoration portant le nom de « Croix de Guerre » ; cette croix est attribuée pendant la seule durée des hostilités, aux titulaires de citations à l’ordre de l’Armée, du Corps d’Armée, de la Division, de la Brigade et du Régiment. Elle est en bronze vert et suspendue à un ruban vert rayé de rouge rappelant celui de la médaille de Sainte Hélène instituée pas Napoléon III en faveur de tous les anciens militaires ayant servi sous les ordres du Grand Napoléon. Chaque citation est rappelée sur le ruban de la décoration en question, par une palme en bronze pour la citation à l’ordre de l’Armée, une étoile en vermeil pour celle à l’ordre du Corps d’Armée, une étoile en argent pour celle à l’ordre de la Division et une étoile en bronze pour celle à l’ordre de la Brigade et du Régiment.

Les Allemands ont une décoration analogue, mais son origine est autrement ancienne que celle de la nôtre, c’est la croix de fer : « Pour récompenser les services exceptionnels en campagne, la Prusse décerne des décorations. C’est ainsi que la « Croix de fer », instituée par Frédéric-Guillaume III, en 1813, lors du soulèvement national contre Napoléon, honora les actes héroïques et fut aussi enviée que l’était chez nous la croix de la Légion d’Honneur. Elle cessa d’être distribuée après Waterloo, mais le roi Guillaume la rétablit en 1870, dès l’ouverture des hostilités. Elle jouit d’un prestige immense en Allemagne, où elle rappelle à tous les guerres de la délivrance et leurs glorieux souvenirs, en même temps qu’elle symbolise une Prusse victorieuse et une France écrasée. L’ordre de la Croix de Fer a deux classes : la Grand Croix n’a été donnée qu’aux Généraux en chef ayant rendu des services éminents. Depuis la guerre, la Croix de Fer n’est plus distribuée. Les jeunes lieutenants regardent avec envie cette décoration qui orne la poitrine de la plupart des capitaines et des officiers supérieurs. Ils attendent qu’une nouvelle guerre contre l’ennemi héréditaire offre l’occasion de créer une troisième édition de cette Croix de Fer qui parle tant aux imaginations allemandes. » (Saint-Cyr, par le Lieutenant-Colonel Titeux)

Ces lignes ont été écrites vers 1896 ou 1897 ; la nouvelle guerre est commencée et fait rage, et, bien entendu, Guillaume II, suivant l’exemple de son grand’père, a créé la troisième édition de cette Croix de fer. Note de l’auteur

[2] Pour retrouver la trace du Sergent Chanot, voir les 26 et 27 août 1914, les 2 et 13 septembre 1914, ainsi que la note du 4 octobre 1914 NDLR

[3] Le 21 février 1916, au bois des Caures. Note de l’auteur

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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