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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
20 mars 2016

20 Mars 1916

20 Mars 1916

Sur ces entrefaites, mes plaies se refusant obstinément à se cicatriser, j’ai dû me faire hospitaliser de nouveau et, depuis 5 jours, j’ai réintégré la rue de la Chaise[1]. Le Docteur Faure m’a opéré pour la …sixième ou septième fois et, j’espère bien, pour la dernière…

Bien des changements sont survenus dans mon pauvre hôpital depuis mon départ du mois d’Août dernier ! On m’avait tout d’abord installé dans la chambre « Chrysanthèmes » ; mais le lendemain, en rentrant pour me coucher, un mot m’attendait chez la concierge, m’avisant que la chambre en question, ayant été occupée dans la journée par le Colonel Polacchi[2] « le héros de Verdun », (textuel), ses précédents locataires en étaient expulsés et dispersés dans différents autres locaux[3].

1916 03 20 général Pollacchi commandant la place de Paris Illust 21-07-1917

Le colonel Pollacchi est devenu général, commandant de la place de Paris  (L'Illustration, 21 juillet 1917, Coll. pers.)

Quant à moi, qui devais être opéré le lendemain matin, j’étais affecté à la chambre « Borghèse »[4].

On ne mange plus dans cette salle à manger qui a retenti de ces fameuses discussions entre artilleurs et fantassins ! L’ambulance[5] n’est plus subventionnée par la « Presse de Montréal », mais est passée aux  mains d’une œuvre écossaise quelconque et est placée sous le patronage d’une princesse dont le nom m’échappe.[6]

1916 03 20 Louise Duchesse d'Argyll peinte en 1915 par Philip Alexius de Laszlo

Princesse Louise, Duchesse d'Argyll, fille de la Reine Victoria, peinte par Philip Alexius de Laszlo en 1915 (http://thepeerage.com/e7765.htm)

Le personnel aussi est bien changé ; heureusement, la petite sœur Germanius est toujours là  et, naturellement, c’est elle qui me soigne.

Je n’ai, bien entendu, retrouvé aucun des pensionnaires que j’avais connus lors de mon premier séjour ; si, cependant, un certain sergent G.[7], poète à ses heures, qui remplit les fonctions de portier et s’empresse de porter le bras en écharpe lorsqu’un médecin inspecteur visite la formation, est toujours là…

1916 03 20 Georges GUERIN-CHOUDREY

l'ouvrage d' "un certain sergent G. poète à ses heures..."

Mes nouveaux compagnons de chambre sont au nombre de quatre, tous lieutenants ou sous-lieutenants et de rapports assez agréables.

L’un d’eux, lieutenant d’artillerie, amputé d’une jambe, est particulièrement amusant ; plein d’esprit, l’humeur caustique, parfois, il lui arrive souvent d’user sa verve sur le dos de nos grands chefs qui n’en ont cure, d’ailleurs. Malgré son horrible mutilation, il fait preuve d’un  moral extraordinaire. Il s’appelle Roulinat et est ancien élève de « Centrale ».

Un autre artilleur, sous-lieutenant sorti de l’X à la mobilisation, et, par surcroît, aviateur, est également très gentil ; celui-ci se nomme Berri.



[1] Adresse de la clinique du Docteur Bonnet où Lucien Proutaux est resté hospitalisé de longs mois avant d’entamer sa convalescence. NDLR

[2] On trouve trace de ce colonel Polacchi (orthographié, à tort, avec deux l et un seul c) à deux reprises, dans les mémoires de guerre de Maurice Bedel « La grande Guerre d’un  futur Goncourt » :

-           Bedel apprend de la bouche du colonel Pollachi qu'il est cité à l'ordre de l'Armée.« C'est un grand bonheur », écrit-il.

-           Bedel n'aura qu'à se féliciter d'avoir un tel chef: le 6 février, son ordonnance, « l'excellent Mauvais [lui] demande l'autorisation d'aller voir son beau-frère, soldat au 35e, cantonné à 1.500 m d'ici. » Il revient encadré de baïonnettes car on l'a pris pour un espion. Bedel le fait libérer, mais est condamné à son tour à 15 jours d'arrêts. Le lendemain : « Le colonel Naulin a fait lever la punition portée contre moi par le colonel Pollachi. Cela m'a appris comment dans l'armée les supérieurs sont responsables des fautes de leurs inférieurs. Au fond c'est fort bien compris. Et puis c'est tellement nécessaire. »

[3] Le Colonel Polacchi dont il est question, avait été lieutenant et capitaine au 74e, mon premier Régiment. J’en avais souvent entendu parler, comme d’un phénomène, par des anciens du 74e de classes plus anciennes que la mienne. Il avait quitté le régiment pour venir au (Régiment des –NDLR)  Sapeurs-Pompiers de Paris, corps auquel il appartenait encore à la mobilisation. Ce « héros de Verdun » qui commandait une brigade, comme colonel, avait été blessé d’un éclat d’obus au mollet à quelque distance des premières lignes…

Il est Corse et toute la colonie corse de Paris a, je crois bien, défilé dans sa chambre. Promu Général de Brigade peu après sa sortie de l’hôpital, il a été nommé au commandement du Département  de la Seine et le hasard a voulu que le service auquel j’appartins par la suite, fut sous ses ordres et j’eus, ainsi, l’occasion de le revoir. Note de l’auteur.

[4] Mon ancienne chambre « Les Coquelicots » était occupée depuis plusieurs mois par le Général Trummelet-Faber, un colonial, rappelé à l’activité par la mobilisation et qui, à la tête d’une brigade territoriale, s’était distingué dans les Flandres, à l’époque de l’Yser et y avait été grièvement blessé. Après avoir traîné pendant assez longtemps, il a fini par mourir des suites de ses blessures et j’ai assisté à ses obsèques qui ont été célébrées à St Thomas d’Aquin. C’est là où, pour la dernière fois, il m’a été donné de voir des cuirassiers revêtus de l’ancienne tenue et coiffés de leur magnifique casque à crinière.

A ces funérailles, j’ai revu également l’ancien généralissime Brugère qui avait inspecté la 9e Brigade au Camp de Mailly lorsque nous y avions fait un si long séjour occasionné en 1903, par la fièvre typhoïde qui sévissait dans notre garnison de Rouen (voir à ce sujet la carte postale de Lucien proutaux, datée du 20 février 1903, dans le chapitre « 1901-1907, une vie de bureau et de garnison » - NDLR). Le Général Brugère a suivi de près son camarade Trummelet-Faber dans la tombe et n’a pas vu se lever l’aube de la Victoire. Note de l’auteur.

NDLR - A la note de Lucien Proutaux, je rajoute quelques éléments concernant la biographie du général Trumelet-Faber (avec un seul m) :

Né le 24 avril 1852 à Bitche, Moselle, mort des suites de ses blessures dans l’un des hôpitaux militaires de Paris le 11 avril 1916. Fils naturel de Marie Faber, engagé dans une Compagnie de francs-tireurs pendant la guerre de 1870, le jeune Gustave Faber entre à l’Ecole militaire de Saint-Cyr. Capitaine au 75e régiment de ligne, âgé de 33 ans, il est adopté par le colonel Corneille Trumelet (spécialiste du Sahara, auteur de Les Français dans le désert, Paris, Challamel, 1887), qui a effectué toute sa carrière en Algérie. Le capitaine Trumelet-Faber est affecté en 1888 au 4e bataillon de Tirailleurs annamites, à Hué. En 1890, après être passé chez les tirailleurs tonkinois, il est en fait détaché à Hanoi puis est nommé chef de bataillon. C’est alors qu’Auguste Pavie lui demande d’effectuer un certain nombre de missions. Il reviendra d’Indochine avec plusieurs albums de photographies, datant de 1888 à 1891. Devenu colonel puis général de brigade, il est affecté en Tunisie et en Algérie où la première guerre mondiale le surprend.

[5] Rappel : une « ambulance » est un hôpital militaire de campagne pendant la Grande Guerre. Au sujet du projet canadien d’hôpital militaire, se référer au chapitre « La maison de santé du Docteur Bonnet », d’octobre 1914. NDLR

[6] Le changement de dénomination de l’Hôpital La Presse est daté par certains du tout début de l’année 1916, pour d’autres au 22 janvier 1916, il devient alors l’Hôpital de l’Écosse. Quant à la princesse dont Lucien Proutaux ne se souvient pas du nom, il s’agit de Son Altesse Royale la Princesse Louise, Duchesse d'Argyll -

[7] Je pense avoir trouvé l’identité de ce mystérieux poète G. : En mars ou avril 1916, Georges Guérin - en littérature Georges Guérin-Choudey -, alors sous-officier, probablement au 4e Régiment d'infanterie, fut admis en traitement à l'hôpital n° 49 après avoir été blessé (Bulletin des écrivains n° 6, Avr. 1915, p. 3). Il est notamment l'auteur d'un recueil de poèmes de guerre intitulé : " Fleurs de sang " (Imp. de Vaugirard, Paris, 1916, in-12).   

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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