Octobre 1916
Octobre 1916
Le mois dernier, j’ai réussi à obtenir du Colonel quelques jours de permission que j’ai passés avec les miens, en Saintonge ; je dis « j’ai réussi à obtenir», parce que lorsque j’ai parlé de permission à mon chef – permission à laquelle j’avais doublement droit, n’ayant joui d’aucune convalescence à ma sortie de l’hôpital et me trouvant, en outre, dans les délais prévus par les circulaires du Ministre pour bénéficier de mes sept jours de détente – il a commencé par me rabrouer vertement en me disant que ce n’était pas le moment de prendre des permissions et que, si je n’étais pas un officier blessé, il refuserait tout net de souscrire à ma demande.
Toute la famille réunie à Baignes Sainte Radégonde (Charente), dans le parc de la maison des Broussard, en septembre 1916 à l’occasion de la permission durement décrochée par Lucien… De gauche à droite, assis, André Broussard (maire de Baignes), Marie Broussard née Furet (sœur aînée de Julie, mariée à André Broussard), Julie Proutaux née Furet (femme de Lucien), Denise Proutaux (fille aînée de Lucien) – debout, Lucien Proutaux, Jeanne Proutaux née Furet (femme de Maurice Proutaux et sœur de Marie et de Julie) et Simone (fille benjamine de Lucien. Il manque Maurice Proutaux, le frère aîné de Lucien, prisonnier en Allemagne, au fort de Torgau(Saxe du Nord).
L’autre jour, en pénétrant dans le bureau du Colonel, j’en ai trouvé le nombreux personnel en effervescence. Cet émoi était occasionné par ce fait qu’une section du secteur venait de faire parvenir au Colonel un lot de 150 ou 200 numéros de cette ignoble « Gazette des Ardennes », rédigée en français par des Allemands et des traitres, dans les régions envahies, et destinée à hâter la démoralisation des malheureuses populations qui attendent, sous le joug des Boches, l’heure tant désirée de la délivrance. Ces journaux ont été lancés par un avion ennemi et, heureusement, recueillis par un brave G.V.C.[1] qui les a aussitôt remis à son commandant de section.
un exemplaire de la Gazette, semblable à celui qui avait été lu par Lucien
L’un d’eux, que j’ai rapidement parcouru, portait en manchette, et en caractères lisibles à 50 mètres :
« Nombre de prisonniers français actuellement dénombrés : 450.000, etc. »
Par cette seule indication, on se rendra compte du but poursuivi par cette feuille infâme, à laquelle collaborent certains Français, paraît-il.
J’aurais bien voulu, à titre documentaire, conserver un exemplaire de ce journal, mais le Colonel n’a rien voulu entendre, tenant à faire parvenir le lot intact au Commandement. Force m’a été, bien entendu, de m’incliner devant cette décision.
[1] G.V.C. : Garde des Voies de Communication