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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
11 février 2019

11 Février 1919

11 Février 1919

Il me faut bien avouer, je n’ai guère fermé l’œil de la nuit, tant mes nerfs étaient surexcités par la nouvelle que je venais d’apprendre !

Bien avant l’heur fixée, et revêtu de ma tenue la plus brillante, j’étais à l’endroit désigné par le général, c'est-à-dire, dans le grand salon précédant son bureau ; deux camarades devaient recevoir la croix en même temps que moi. J’avais connu l’un d’eux pendant quelques jours à la régulation de Creil, le Lieutenant Ploix. Tous les officiers de la D.G.C.R.A.[1], légionnaires, avaient été convoqués pour cette petite cérémonie.

A 11h30 exactement, le Général Payot[2] est sorti de son bureau et, les trois candidats alignés devant lui, par rang d’ancienneté (ai-je besoin d dire que c’était moi qui étais, sinon le plus âgé, du moins de beaucoup le plus ancien ?) et les légionnaires rangés à la droite, il a lu nos citations, puis après avoir prononcé la formule consacrée :

« Lieutenant Proutaux, au nom du Président de la République, en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’Honneur ! »

nous a épinglé nos insignes sur la poitrine et donné l’accolade.

1919 02 11 médaille Légion  1919 02 11 revers médaille Légion

 1919 02 11 changement de date La légion d'honneur de 1870 à nos jours Les deux faces de la médaille de Chevalier de la Légion d'honneur (Coll. pers.)

Ci-dessus, explication de la raison de la date 1870 gravée sur la médaille

1919 02 11 tableau Légion d'Honneur  1919 02 11 étui de la Légion d'honneur

Document attestant l'attribution de la Légion d'Honneur à Lucien Proutaux  et étui de protection de ce document (Coll. pers.)

A ce moment, je le confesse sans honte, j’ai pleuré : pleuré de joie parce que, comme je l’ai dit plus haut, je savais que l’honneur qui m’arrivait allait causer un grand plaisir à ma femme et à mes filles, mais pleuré de regret aussi car je n’ai pu m’empêcher de faire un retour en arrière et de songer à la fierté immense qui aurait été celle de mon cher et regretté Père, en voyant son fils décoré.

Mais avec le Général Payot, les choses ne traînent jamais car il est toujours affairé et accablé de besogne ; aussi, après avoir reçu les congratulations et les félicitations des camarades présents, nous a-t-il fallu monter en hâte dans son auto (une Rolls-Royce, bien entendu) qui, en quatrième vitesse nous a emmenés au manoir de « Sans-Souci »[3], où il habite et à sa popote, pour déjeuner à sa table.

1919 02 11 manoir Sans Souci à Gouvieux Manoir de "Sans-Souci" à Gouvieux dans l'Oise.

Le Colonel Lefort a assisté à ce repas qui n’a rien eu d’un festin, on peut le croire. Et même, quoique ayant derrière moi la cheminée, dans laquelle essayait de flamber un énorme tronc d’arbre, je n’ai pu me réchauffer dans cette immense salle à manger ouvrant de plein pied par une gigantesque baie vitrée, sur un parc recouvert de neige durcie.

Enfin, dès que possible, j’ai repris ma liberté avec bonheur car il me tardait de télégraphier la bonne nouvelle à ma femme ; je n’avais pas voulu le faire avant d’être en possession de ma bienheureuse décoration.

Puis, ensuite, un autre devoir m’appelait au bureau du Colonel Boquet[4] qui partait aujourd’hui et avait manifesté le désir de faire ses adieux à tous ses anciens collaborateurs et subordonnés. Quand il est arrivé mon tour de lui serrer la main, il a aperçu ma croix et m’a dit : « Je suis très heureux que l’on vous ait accordé, avant mon départ, la récompense que j’ai demandée pour vous ; voilà une croix bien placée, par exemple, car nul ne pourra dire qu’elle n’est pas méritée ! » J’étais confus de tant de louanges qui me semblaient un peu disproportionnés avec mes modestes mérites et l’ai remercié de tout cœur, lui aussi, d’avoir si chaleureusement appuyé ma proposition.

Ci-dessous, voici le texte de l’ordre du G.Q.G. me conférant la croix de la Légion d’Honneur :

Grand Quartier Général                                                                   Au G.Q.G. le 8 février 1919

des Armées françaises de l’Est

                   ----

            Etat-Major                                                                 Ordre n° 13360 « D » (Extrait)

Bureau du Personnel

(Décorations)                         M. Proutaux, Lucien, Charles, Gabriel, Lieutenant de réserve

                                               commandant la 18e Compagnie du 226e R.I., a été nommé

                                               dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, au grade de Chevalier.

           

                                               « Officier particulièrement énergique et brave. Le

                        « 4 octobre 1914, à Vimy, chargé avec sa compagnie de couvrir le

                        « mouvement d’autres unités, a parfaitement rempli sa mission

                        « malgré les circonstances les plus difficiles. A été gravement blessé

                        « au moment où il exécutait l’ordre de se dégager. »

 

                                               La présente nomination comporte l’attribution de la

                        Croix de Guerre avec palme.

                                                                       Le Maréchal de France

                                                           Commandant en chef des Armées françaises de l’Est

                                                                                  Pétain

                                                                       Pour extrait conforme

                                                        Pour le Lieutenant colonel, chef du Bureau du Personnel

                                                                       Signé : Daubigny

Ayant eu mon dossier de proposition entre les mains, j’ai pu, au passage, prendre copie des notes qu’avait mises le Colonel Boquet, à l’appui de ma proposition :

 

« Officier énergique, assurant avec une conscience parfaite et « un dévouement absolu, un service rendu particulièrement « pénible par les suites d’une blessure équivalant à « l’amputation d’un membre ; le Lieutenant Proutaux mérite à « tous égards la récompense pour laquelle il est proposé et  « que je serais particulièrement heureux de lui voir accorder ».

Signé : Boquet

Copie également des notes du Colonel Boquet accompagnant une proposition pour l’avancement :

« Le Lieutenant Proutaux est un excellent officier, « extrêmement sérieux, d’un dévouement sans borne ; très « travailleur, s’est très bien comporté dans la troupe et rend « d’excellents services dans le Service des Chemins de fr. « Proposition appuyée. »

On voit, en somme, que je pouvais voir partir le Colonel Boquet avec quelque regret car qui sait si un autre chef m’aurait apprécié de la sorte[5] ?



[1] D.G.C.R.A. : Direction Générale des Communications & Ravitaillements aux Armées (NDLR)

[2] Coïncidence curieuse, exactement 11 ans après cette petite cérémonie, c'est-à-dire le 11 février 1930, le Général Payot, qui était devenu le Commandant de la 13e Région à Clermont-Ferrand, était atteint par la limite d’âge. Décédé le 7 septembre 1931 au Mont-Dore. (note de l’auteur)

[3] Cette propriété appartient au baron Edouard de Rothschild qui la fit bâtir à Gouvieux (Oise). (note de l’auteur et ajout de la rédaction)

[4] Photographies du Colonel Boquet parues le 1er juillet 1918 et le 9 février 1919 (NDLR)

[5] Peut-être trouvera-t-on un certain rapport entre ces notes et celles que m’avait données autrefois, du temps de mes années de service actif, et lors de mon départ, mon commandant de Compagnie du 74e, le Capitaine Lacolle, sous les ordres duquel j’ai servi pendant 3 années consécutives, à la 5e Compagnie de ce beau Régiment, hélas, lui aussi disparu. Les voici : « Manière de servir : Parfaite – Instruction militaire : très bonne – Sous-officier d’un rare mérite, calme, vigoureux, très intelligent, animé du meilleur esprit, toujours prêt à se dévouer ! » (note de l’auteur)

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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