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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
5 mai 2019

Appendice Texte 7

La mort et les funérailles du Maréchal Foch (mars 1929)

Mécontentement des associations d’Anciens Combattants 11 ans après la fin de la guerre

 

Le 21 Mars 1929, les journaux du matin annonçaient que le Maréchal Foch était mort la veille, un peu avant 6 heures du soir. Cette nouvelle plongea tous les bons Français dans la plus grande stupeur ! Et, cependant, ne devait-on pas s’attendre à cette fatale issue ? Depuis de longues semaines, le Maréchal se défendait pied à pied contre la maladie, mais, vu son grand âge -77 ans- ces alternatives, ces hauts et ces bas, ne pouvaient guère laisser d’espoir.

007 Foch en octobre 1918  Portrait du Maréchal Foch en 1918 (in Lectures pour tous, 15/10/1918, Coll. pers.)

La mort de notre grand chef, si elle fut très sensible à nombre de Français, le fut peut-être encore un peu plus pour moi ; c’est que, au premier mois de la guerre, c’est dans son corps d’armée même –le 20e- que j’ai combattu. Je me souviens l’avoir vu, au lendemain de Courbesseaux, c'est-à-dire vers le 26 ou 27 août, à Haraucourt, que nous occupions en cantonnement d’alerte. Il était au milieu d’un groupe composé de quelques uns de mes soldats auxquels il adressait quelques paroles encourageantes et affectueuses ; mes hommes, qui me rapportèrent ces paroles, par la suite, en étaient enchantés et ne juraient que par lui.

Je l’ai vu également à Provins à deux reprises différentes ; une première fois, il était en auto et est passé devant moi sur une des places de la petite cité ; il répondit à mon salut et je n’oublierai jamais l’éclat extraordinaire de son regard qui se posa quelques secondes sur moi.

Un peu plus tard, il m’a été donné de le revoir le jour ou le Président Poincaré vint remettre à Pétain sa médaille militaire, après avoir remis à Foch, à son Q.G. de Pompon, son bâton de maréchal. C’était au moment où la victoire libératrice commençait à éclaircir notre ciel, en août 1918.

Et puis, n’ai-je pas terminé la Guerre dans son Etat-Major ? Il est vrai que, petit officier de réserve chargé des plus ingrates besognes, il n’a certainement pas soupçonné mon existence, au cours même de cette période.

Sur la proposition du Gouvernement, le Parlement décida que les funérailles du Maréchal seraient nationales, mais, par suite d’une aberration, ou d’une erreur, à moins que cela n’ait été volontaire, le jour de ses obsèques ne fut pas, quoique la chose eut été proposée par un député, décrétée journée de deuil national. Il en résulta que beaucoup d’administrations publiques ou privées, maisons de commerce et autres, ne se crurent pas obligées d’accorder à leur personnel, liberté pleine et entière pour cette circonstance.

Le 24 mars, la dépouille mortelle du Maréchal fut exposée sous l’Arc de Triomphe de l’Etoile et c’est le mardi 26 mars que se firent les obsèques solennelles.

L’office eut lieu à Notre-Dame et le cortège se déroula de la Cathédrale aux Invalides, par l’Hôtel-de-Ville, la Rue de Rivoli, la Place de la Concorde, les Champs-Elysées et le Pont Alexandre III.

Le Président du Conseil prononça un discours où il magnifia la vie du Grand soldat et traduisit en accents incomparables, la douleur qui poignait tous les cœurs en ce cruel jour de deuil (voir plus loin le texte de ce discours).

Les anciens combattants devaient prendre part au cortège, mais, hélas ! la Guerre est déjà loin -10 ans passés qu’elle est terminée !- et la parole qu’eut Clémenceau à leur adresse : « Ils ont des droits sur nous ! » est bien oubliée et c’est tout en queue du cortège que nous fûmes relégués.

Mieux que cela, nous eûmes l’amertume de ne pouvoir saluer une dernière fois la dépouille de celui qui avait été notre chef suprême et nous avait conduits à la Victoire, car, pour des raisons que l’on ne fera que difficilement comprendre aux Anciens Combattants, la cérémonie se termina avant que les délégations de ces derniers, qui avaient attendu ce moment pendant de longues heures, eussent à leur tour défilé devant le corps.

007 mécontentement anciens combattants Le mécontentement des Anciens Combattants (in la « Feuille d’Avis de Neufchâtel, du 27 mars 1929)

On doit penser que cette manière de faire vis-à-vis des artisans, modestes il est vrai, mais néanmoins réels, de la Victoire, provoqua certaines récriminations et quelques députés, qui se trouvaient encore là, furent un peu houspillés.

L’incident eut son écho à la Chambre des Députés et certains députés socialistes –entre autres, un dénommé Uhry, député de Creil, qui serait sans doute bien embarrassé de dire dans quelle unité combattante il a fait la guerre- en se voilant la face, feignirent de croire à un attentat à la dignité du Parlement…

007 interpellation socialiste « …un dénommé Uhry… » (in la « Feuille d’Avis de Neufchâtel, du 27 mars 1929)

Ceci est d’ailleurs sans autre importance, mais, en ce qui concerne les anciens Combattants, la lettre ci-dessous adressée par M. Pierre Taittinger au Président Poincaré, dépeint bien leur état d’âme et les sentiments ulcérés que leur ont laissés ces pénibles incidents :

« Monsieur le Président,

J’ai le devoir d’évoquer publiquement devant vous les pénibles incidents qui ont attristé, mardi, les funérailles nationales du Maréchal Foch, lorsque les Anciens Combattants se virent refuser l’honneur de défiler devant la dépouille mortelle du chef qui les conduisit à la victoire et de rendre ainsi un suprême hommage à celui qui aimait à les appeler « ses enfants ».

Je crois obéir au vœu de tous les patriotes français en ne montant pas à la tribune de la Chambre pour soulever un débat politique sur une telle question. Elle est trop haute, elle doit être abordée avec trop de délicatesse pour qu’il soit possible d’espérer de la part des ennemis de la Patrie que des Français égarés ont envoyé au Parlement, le respect attristé qui s’impose. Près du cercueil de Foch, vous avez, Monsieur le Président, devant toutes les nations du monde unies dans le même deuil qui nous étreignait tous, rappelé en termes émouvants le rôle du Président Clémenceau, qui fut, avec Foch, le meilleur artisan du triomphal succès de nos armes. Je suis sûr que vous n’avez pas oublié que Georges Clémenceau disait au lendemain de l’armistice, en parlant des Anciens Combattants : « Ils ont des droits sur nous. »

Cette parole, tombée des lèvres d’un homme d’Etat qui a, comme vous, si bien mérité de la Patrie, les Anciens Combattants l’ont pour toujours gravée dans leur cœur. Et tandis que le temps passe, leur amertume grandit de constater que le vent de l’oubli, le vent de la politique l’a déjà emportée.

Souvenez-vous, Monsieur le Président !

Il n’y a pas un an, à Cassel, le Maréchal Foch avait invité les Anciens Combattants à figurer près de lui à l’inauguration de son impérissable monument ; leurs drapeaux et leurs délégués durent forcer les barrages de police pour atteindre la place qui leur était due.

Il y a quelques mois, le 11 novembre, la municipalité parisienne recevait les Anciens Combattants. Lorsque leurs délégués parvinrent à l’Hôtel de Ville, personne n’était là pour les recevoir et leurs places étaient occupées par des intrus.

Hier, ces hommes qu’il était fier de commander, ceux dont il exaltait l’héroïsme, dès le 12 novembre, en phrases qui passeront à la postérité, et qui étaient venus de Lorraine et d’Alsace, de Bretagne et de Provence pour défiler une dernière fois devant lui, ces soldats enfin ont été relégués à l’arrière-plan du magnifique cortège qui l’accompagnait au tombeau, et n’ont même pas été admis à saluer une dernière fois son cercueil.

Mesurez leur rancœur, Monsieur le Président, et songez que rien, absolument rien n’a été fait mardi pour les plus humbles ouvriers de la Victoire, fiers d’aimer celui qui est à leurs yeux le libérateur du territoire.

Disciplinés jusqu’au bout, comprenant malgré leur tristesse que toute manifestation était déplacée devant la tombe glorieuse encore ouverte, les Anciens Combattants, pour la plupart, se sont dispersés, refoulant leur colère et leur désillusion.

Tant de sagesse et de modération ne doit pas égarer l’opinion du gouvernement. Les Anciens Combattants en ont assez. Il appartient au créateur de l’Union sacrée de prononcer les paroles qui s’imposent et qui apaisent, d’arrêter, par les mesures que tout le monde attend, le développement d’un état d’esprit qui peut dresser demain, et avec violence, les anciens combattants du pays tout entier contre le gouvernement.

L’heure est venue, Monsieur le Président, de dire à ceux qui sont, quoi qu’on puisse penser, les fondateurs de la paix, que, désormais, les anciens combattants seront toujours à la place d’honneur parce que cette place, ils ne la doivent ni à la naissance, ni à l’intrigue, ni à la politique, mais à leur sacrifice et à leur sang.

Et ici, ce n’est pas seulement au Président du Conseil que je m’adresse, mais encore à celui qui est toujours fier d’avoir porté le glorieux képi de velours des chasseurs à pied, au Lorrain, à l’ami de Barrès, à l’homme qui, en débutant dans la vie politique comme représentant de Vaucouleurs, a voulu se placer pour toujours sous le signe de Jeanne d’Arc, qui est celui de la droiture et du patriotisme.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

                                                    Pierre Taittinger

                                                    Député de Paris »

Discours prononcé par le Président Poincaré aux funérailles de Foch, le 26 mars 1929, devant la grille d’entrée des Invalides, face au cercueil de l’illustre Maréchal :

007 Foch et Poincaré Octobre 1918, le Maréchal Foch avec celui qui prononça son éloge funèbre 11 années plus tard, le Président Poincaré. (in Lectures pour tous, 15 octobre 1918, Coll. pers.)

« Monsieur le Président de la République,

Altesses,

Messieurs,

Durant les longues semaines où, par un dernier prodige de vigueur physique et morale, le maréchal Foch a résisté pied à pied aux assauts de la mort, la France, refusant jusqu’au bout de le croire vaincu, n’a pas mesuré le vide que devait laisser dans le monde la perte de ce grand homme. Nous voici maintenant en présence de la douloureuse réalité et, tout de suite, nous comprenons que la flamme qui vient de s’éteindre était une des plus ardentes et des plus pures qui eussent jamais jeté leur éclat sur la terre.

Comme beaucoup d’autres nations, la nôtre compte dans ses annales un grand nombre d’illustres capitaines et Foch retrouvera plusieurs d’entre eux dans la célèbre chapelle où il va dormir son dernier sommeil. Il avait, certes, toutes les fortes qualités qu’à l’époque même où Mansard venait d’achever l’église Saint-Louis des Invalides, Bossuet énumérait comme les traits caractéristiques d’un héros « valeur, magnanimité, beauté naturelle, vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie ». il possédait par surcroît « ce don inestimable de la piété » que l’orateur catholique considérait « comme le tout de l’homme ». Mieux que personne aussi, il savait que « dans les grandes actions, il faut uniquement songer à bien faire et laisser venir la gloire après la vertu. » Mais, avec tous ces mérites, il en a eu d’autres, qu’il a reçus en partie de sa propre conscience, en partie des événements et des mœurs contemporaines, et qui lui ont donné  par rapport à ses prédécesseurs une immortelle supériorité. Porté, sans avoir recherché cet honneur, au commandement de millions de soldats alliés, il a conduit à la bataille des peuples entiers, non par orgueil, mais par obligation morale, non pour la conquête d’un sol étranger, mais pour la délivrance de pays envahis. Il n’a eu d’autre ambition que de servir ; il n’a voulu d’autre récompense que le sentiment du devoir accompli ; et voilà pourquoi le deuil où nous sommes aujourd’hui plongés n’est pas seulement le deuil de ceux qui l’ont connu et qui l’ont aimé, ou de ceux qui l’ont vu à l’œuvre, ou de ceux qui ont servi sous ses ordres ; c’est celui de la France et d’une grande portion de l’humanité civilisée. Il est significatif qu’au premier rang des visiteurs qui sont venus, à la nouvelle de sa mort, saluer sa dépouille mortelle, se soient trouvés l’illustre homme d’Etat qui a été en France le chef du gouvernement de la victoire[1] et l’admirable souverain[2] qui, dès le début de la guerre, a incarné devant l’univers l’éternelle justice.

S’il vous avait été donné, Messieurs, de parcourir les messages de sympathie qui sont parvenus ces jours-ci, de tant de points du globe, à M. le Président de la République et au gouvernement, vous éprouveriez, devant cette unanimité de la reconnaissance et du respect, une émotion faite, à la fois, de tristesse et de douceur, et vous vous diriez qu’un tel homme, si affreuse que soit sa perte, ne disparaît pas tout entier et qu’il laisse derrière lui un exemple impérissable.

Né à Tarbes d’une famille languedocienne, élevé à ST-Etienne et à Metz, marié en Bretagne, Foch semblait destiné à personnifier, par l’harmonieuse diversité de ses attaches françaises, l’indivisible unité de la patrie. Surpris dans sa dix-neuvième année par la guerre et l’invasion, il quitte le collège messin de Saint-Clément et s’engage pour la durée de la campagne ; mais, avant d’être envoyé au feu, il assiste à la défaite et au démembrement de la France.

007 maison natale de Foch à Tarbes  La maison natale du Maréchal Foch, rue Saint-Louis à Tarbes (in Lectures pour tous, 15 octobre 1918, Coll. pers.)

Admis, après la signature du traité de Francfort, à l’Ecole Polytechnique, il garde profondément gravé dans la mémoire le souvenir de ces jours tragiques et se promet de consacrer au redressement de la France tout ce qu’il y a en lui d’intelligence et de volonté.

Elève à l’école d’application d’artillerie, à l’école de cavalerie de Saumur, à l’Ecole Supérieure de guerre, il cherche partout à développer ses connaissances techniques et générales et, à mesure qu’il avance dans la carrière militaire, il ne cesse d’enrichir son âme par l’étude et la réflexion.

Lorsqu’en 1885, il revient à l’Ecole de guerre pour y professer lui-même, les leçons qu’il y donne ne constituent pas seulement une savante initiation à la tactique et à la stratégie ; elles contiennent aussi et surtout l’exposé méthodique d’une forte doctrine. Pour Foch, il n’y a pas de véritable supériorité que celle du caractère. Il prend hardiment le défense de « ces grandes abstractions qui sont le devoir et la discipline » ; et il résume ses idées maîtresses en quelques définitions saisissantes : « La guerre, département de la force morale ; la bataille, lutte de deux volontés ; la victoire, supériorité morale chez le vainqueur, dépression morale chez le vaincu. » Il prend soin toutefois d’ajouter que ni la clairvoyance ni l’énergie ne suffisent au chef ; il lui faut encore la rare faculté de communiquer l’esprit qui l’anime aux troupes qu’il a sous son commandement. Il doit donc connaître ses hommes, les comprendre, les aimer et maintenir entre eux et lui cette confiance mutuelle, plus indispensable encore à une armée nationale qu’à une armée de métier, et seule capable de donner à l’obéissance militaire toute sa grandeur et toute sa beauté.

007 signature Foch et bâton de maréchal Poincaré 23 août 1918  Signature de Foch sous la mention « Le Devoir, la Discipline » et accolade avec le Président Poincaré lors de la remise de son bâton de Maréchal le 23 août 1918 (in Lectures pour tous, 15 octobre 1918, Coll. pers.)

Tel est, en raccourci, l’enseignement du maître qu’aux heures incertaines de la paix, Georges Clemenceau, par une sorte de divination, a nommé directeur de l’École de guerre. Quelques années plus tard, Foch obtient la troisième étoile et, au mois d’août 1913, il est placé à la tête du vingtième corps, dans cette ville de Nancy, devenue depuis nos échecs la voisine désarmée d’une frontière imposée par la force. Comme tous les Français, il est si éloigné de desseins belliqueux et si peu disposé à caresser des idées de revanche que, plus de deux semaines après l’attentat de Sarajevo, le 14 juillet 1914, il va, en permission régulière, demander à sa chère Bretagne quelques jours de repos et de liberté. C’est seulement après la remise à la Serbie de l’ultimatum austro-hongrois qu’il rentre à Nancy et, dès que la guerre nous est déclarée, il prête, comme tous les Français aussi, serment de ne pas déposer les armes avant d’avoir remporté la victoire et libéré nos provinces captives.

Mais bientôt les premières batailles lui laissent prévoir que cette victoire exigera de longs efforts et de coûteux sacrifices. Si puissante que soit par elle-même une volonté d’offensive, il lui arrive de se heurter à des moyens matériels si abondamment utilisés qu’ils la paralysent et l’anéantissent. Dans la région de Morhange et sur les hauteurs de Baronville, les vaillantes troupes du vingtième corps, division de fer et division d’acier, se brisent contre un ennemi solidement retranché derrière des réseaux de fils barbelés, et protégé par des tirs d’artillerie. Sans se décourager. Foch se hâte de reconstituer ses unités et, lorsque l’armée adverse, cherchant à tourner nos places de l’est, se propose d’enlever notre droite et de prendre à revers nos forces principales, engagées dans nos départements du nord, il est de ceux qui contribuent, avec nos troupes de Lorraine, à lui fermer la trouée de Charmes et à la rejeter, toute meurtrie, sur notre frontière ensanglantée. Parmi tant de morts ensevelis dans les plis de la terre délivrée, il en laisse deux qui lui sont particulièrement chers, son fils, l’aspirant Germain Foch, et son gendre, le capitaine Bécourt. Mais il se détourne de ses douleurs privées pour s’absorber tout entier dans la tâche que lui a confiée la patrie.

 C’est alors que Joffre, juge impassible de la valeur de ses lieutenants, remet à Foch le commandement d’une armée nouvelle, la 9e, qui, pendant la bataille de la Marne, va résister, près des marais de Saint-Gond, à une formidable poussée allemande. Au plus fort du combat, Foch, qui s’est toujours plu à répéter que le mouvement est la loi de la stratégie, a une de ces inspirations géniales dont il a coutume d’emprunter le premier souffle à la méditation ou à l’histoire. Il prie son voisin, le général Franchet d’Esperey, de l’aider à remplacer, en première ligne, la 22e division, que commande Grossetti et que trois jours de lutte ont cruellement éprouvée ; il la retire du feu, mais la fait aussitôt glisser en arrière de nos lignes et la transporte rapidement face à l’est, de manière que, désemparé et saisi d’effroi, l’ennemi se sente obligé de reculer devant notre front rétabli.

Peu de semaines plus tard, lorsque, vers le nord et vers l’ouest, les Allemands cherchent à nous gagner de vitesse pour arriver les premiers à la mer et déborder notre aile gauche, Joffre n’a oublié ni l’heureuse inspiration ni la manœuvre hardie du commandant de la 9e armée ; et, le 4 octobre, il confère à Foch le titre d’adjoint au général en chef, avec mission, non seulement de coordonner l’action de toutes les troupes françaises engagées entre l’Oise et le littoral de la Manche, mais aussi de concerter leurs opérations avec celles de l’armée britannique, concentrée dans la zone d’Hazebrouck et de Saint-Omer, et de l’armée belge, qui défend avec bravoure, sous les ordres de son roi, les derniers lambeaux de son territoire. Foch installe, d’abord, son quartier général à Doullens ; puis, mû par le désir de mieux dominer la vaste plaine des Flandres, il s’établit, dans cette jolie ville de Cassel qui, fière de conserver à jamais le souvenir de son séjour, lui a élevé l’an dernier, avec le concours des populations enthousiastes, un monument symbolique. Si, aujourd’hui l’Angleterre et la Belgique sont au premier rang des nations amies pour s’associer au deuil de la France, c’est en particulier parce qu’elles n’ont rien oublié des inappréciables services rendus par Foch à la cause de nos trois pays pendant la bataille de l’Yser et la bataille d’Ypres. Ce serait faire œuvre impie que de vouloir, dans une entreprise collective, diminuer, au profit d’un de ses alliés, le rôle des autres ; mais personne ne conteste, je crois que du haut de la colline de Cassel, Foch ait constamment veillé, avec une incomparable autorité, à la préparation des succès communs.

Et voici maintenant que le front s’immobilise et que va commencer, sur d’immenses lignes fortifiées, un long siège de géants, ou des peuples arrêtés face à face, seront tour à tour assiégeants et assiégés. Dans cette guerre qui se fige, Foch, comme tant d’autres, cherche vainement la surprise, l’inattendu, l’événement sauveur. Mais pas un instant il ne désespère, et jusqu’à la fin de 1916, il reste le vigilant organisateur de toute la région militaire qui s’étend de la mer à la vallée de l’Oise. C’est lui qui, au printemps de 1915, s’efforcera d’ébranler en Artois les positions allemandes ; c’est lui qui, au printemps de 1916, montera, sur les deux rives de la Somme, une offensive savamment étudiée, et la poursuivra sans défaillance durant la bataille de Verdun, dans la seule intention de soulager les troupes françaises qui défendent, au prix de si lourdes pertes, les abords de la glorieuse forteresse lorraine.

Deux années se passent. Foch est nommé chef d’état-major de l’armée au ministère de la Guerre. Il dresse les premiers plans de la coopération américaine. Il apporte au comité de guerre français les précieux avis d’une expérience que chaque jour mûrit et alimente. Il préside magistralement à Versailles le Conseil supérieur interallié : premier pas, bien timide encore, vers l’unité de commandement. Et tout à coup, vers la fin de mars 1918, dans une heure d’alarme, tous les yeux inquiets cherchent un chef, et, instinctivement, irrésistiblement, se tournent vers Foch.

 Le 21 mars, avant l’aube, trente-sept divisions allemandes se précipitent sur le front allié dans l’espoir de briser la charnière où se rejoignent les troupes britanniques et françaises. Violemment assaillie par des forces supérieures, la 5e armée anglaise est contrainte de se replier ; l’ennemi marche sur Montdidier pour s’ouvrir la route d’Amiens et couper toutes communications entre nous et nos voisins de gauche. Faute d’un commandement unique et d’une volonté dominante, l’armée française va sans doute être condamnée à se ramasser vers le sud et l’armée anglaise acculée à se rabattre sur ses bases maritimes. Le 25 mars, lord Milner et le général Wilson, alertés par le maréchal Haig, arrivent sur les lieux. Les deux gouvernements et les deux états-majors se rencontrent le 26 mars à Doullens et, d’un commun accord, Foch est officiellement chargé de coordonner dorénavant l’action des deux armées alliées. Le 3 avril, cette décision salutaire, mais encore incomplète, se précise et s’améliore à Beauvais. Foch reçoit effectivement la direction stratégique des opérations militaires et, quelques jours plus tard, le titre de général en chef consacre définitivement, aux yeux de tous, la reconnaissance de son autorité suprême.

Aussitôt investi de ce commandement, qui va s’exercer de la mer du Nord à la plaine d’Alsace, sur une ligne continue de quatre cents kilomètres, et qui met entre les mains d’un seul homme le sort de plusieurs millions de ses semblables, Foch veut que, du centre où il s’installe, sa pensée rayonne à tout instant jusqu’aux cellules extrêmes du prodigieux organisme dont elle doit être l’animatrice ; il faut qu’elle parvienne au soldat dans la tranchée, à l’artilleur près de sa batterie, à l’aviateur dans les airs ; il faut qu’elle inspire à tous la même énergie et la même foi. Ne craignons rien. Foch est prêt ; et ce miracle s’accomplira.

De son quartier général de Sarcus, il tient toutes les commandes du mécanisme qu’il dirige. Il est présent partout et rien ne lui échappe. Après avoir assuré la défense de la Somme, il est obligé d’envoyer des renforts français dans les Flandres pour barrer aux Allemands la route de Calais, et lorsqu’il a fait échouer ces deux tentatives, c’est du côté du Chemin des Dames qu’il est brusquement appelé à conjurer un désastre. Quatre mille pièces d’artillerie, massées en un court espace, ont enveloppé dans d’épais nuages d’ypérite nos troupes de première ligne ; et d’excellentes divisions allemandes, jetées sur la vallée de l’Aisne, ont traversé la rivière, écrasé tout sur leur passage, franchi la Vesle, et menacé pour la troisième fois les approches de Paris. Mais bientôt, secondées par les divisions américaines, nos troupes, reprises en main, retiennent l’ennemi dans la large poche aux abords sinueux où il s’est imprudemment engouffré ; et déjà Foch, en pleine possession de sa puissante et sage méthode, s’apprête à des combats plus vastes et plus décisifs.

Quelques indices concordants lui donnent à penser qu’à l’est et à l’ouest de Reims, les Allemands méditent une double attaque. Loin de s’émouvoir de ces signes précurseurs, Foch comprend tout de suite que s’il réussit à maîtriser les adversaires, leur situation se trouvera singulièrement compromise dans l’impasse où ils se sont aventurés. Il donne ses instructions à Pétain ; Pétain assigne à Gouraud et à Mangin leurs rôles respectifs : tout est en place. Vienne l’ennemi, il trouvera à qui parler. Il arrive, remporte quelques succès partiels, mais ne parvient pas à s’emparer de la montagne de Reims, s’arrête, décontenancé, devant nos 10e et 6e armées et leur livre, en moins d’une journée, huit cents canons et douze mille prisonniers.

« Dans toute guerre, a dit Foch, il y a un moment où une armée se sent portée en avant, comme si elle glissait sur un plan incliné. » C’est au chef qu’il appartient de saisir alors l’occasion fugitive. Au mois de juillet 1918, Foch a entendu le premier appel de la victoire. Il a vu que l’ennemi commençait à chanceler ; il s’est promis de le bousculer sans trêve et sans merci. « L’Entente, s’écrie-t-il, doit frapper maintenant à coups redoublés. » À sa voix, Belges, Anglais, Américains, Portugais, tous nos autres alliés redoublent de courage et d’entrain. Amiens est dégagé ; Montdidier reconquis ; Bapaume et Péronne sont enlevés ; Saint-Mihiel et une partie de la Woëvre sont délivrés ; Gouraud s’avance en direction de Rethel et de Mézières ; et bientôt, dès les premiers jours d’octobre, la forte ligne de bastions derrière laquelle sont réfugiés et retranchés les Allemands commence à céder et à crever çà et là. Foch n’en est que plus fortement déterminé à précipiter ses attaques. Il sait qu’en Italie le général Diaz prépare lui-même une vigoureuse offensive ; qu’en Orient Franchet d’Espèrey a déjà contraint les Bulgares à demander un armistice ; que l’Autriche faiblit et s’épuise. Il s’empresse donc de repartir au pas de charge, et, dorénavant, de jour en jour, les victoires succéderont aux victoires ; les Belges rentreront triomphalement à Ostende et à Bruges ; Lille et Valenciennes seront libérées d’une longue captivité ; le drapeau étoilé flottera aux lisières de l’Argonne. Deux armées françaises seront disposées en Lorraine, sous le commandement de Castelnau, et se prépareront à tourner la place de Metz par l’est, dans la direction de Sarrebrück, pour couper la retraite aux Allemands. À partir du 31 octobre, c’est d’heure en heure que s’accentue la progression des alliés. Nos adversaires, déconcertés, se résignent à un repli général. Foch les poursuit l’épée dans les reins et ne leur permet pas de reprendre haleine. Pour éviter de succomber sur la Meuse ou d’en être réduite à capituler en rase campagne, l’armée allemande envoie des parlementaires à Rethondes et sollicite la suspension des hostilités.

Le 11 novembre 1918, Foch était maître d’étrangler l’ennemi. Mais dans la conviction qu’un armistice permettrait de régler. à la complète satisfaction du droit, les conditions de la paix future il n’a pas voulu, par sentiment d’humanité, conseiller de plus longues hécatombes. Pour ce soldat français, pour ce soldat chrétien, la guerre n’était pas un but ; elle n’était qu’un moyen, et non pas le moyen de procurer à un pays l’enrichissement ou la domination, mais le moyen de maintenir son indépendance et sa pleine sécurité.

Lorsque l’armistice est signé, Foch félicite en un noble langage ses officiers, ses sous-officiers et ses hommes d’avoir gagné la plus grande bataille de l’histoire et d’avoir fait triompher la cause la plus sacrée, celle de la liberté du monde ; puis, avec sa simplicité native, il arrête et clôt son journal de marche, sans même s’attendre aux hommages du pays qu’il a sauvé. Si, dès le 23 août 1918, il a reçu le bâton de maréchal, si les Chambres ont proclamé qu’il a bien mérité de la patrie, si l’Académie française s’est empressée de l’accueillir dans son sein, il n’a rien demandé à personne, et il paraît étonné, presque gêné, des honneurs qui lui viennent de France ou de l’étranger. Dans la paix comme dans la guerre, il n’a qu’un désir, toujours le même, celui de servir au poste qui lui est assigné. Ce qui le préoccupe désormais, c’est le maintien, dans l’avenir, de cette sécurité qu’il a demandée à la victoire. À la tête de la Commission militaire interalliée, il reste un contrôleur attentif et informé ; il ne néglige rien pour renseigner les gouvernements intéressés ; il ne laisse passer aucun abus ; mais jamais ses observations ne lui sont suggérées par l’esprit impérialiste, par la rancune ou par la haine. Aujourd’hui que la guerre est finie, il n’entend plus être que le soldat de la paix.

Bonté naturelle, modestie charmante, discret effacement qui ont bien souvent ému ceux qui l’ont fréquenté ou seulement approché. Il avait l’esprit vif et ses propos ne manquaient ni de verve, ni d’ironie. Mais, pour le bien juger, il ne fallait pas croire qu’il mît dans ses boutades familières le meilleur de lui-même ; il fallait pénétrer plus profondément en lui et savoir reconnaître que, si alerte que fût son intelligence, il était surtout un homme de cœur et de conscience. Dans la vie publique comme dans la vie privée, il a eu de grandes joies et de grandes tristesses. Il n’a jamais été enivré par les unes, ni accablé par les autres. Il avait cette force de se considérer comme faible devant l’éternité et de pouvoir attribuer à la générosité divine les mérites dont on lui faisait gloire. Négliger, devant ces draperies funèbres, des traits aussi saillants de son caractère, ce serait, par réticence ou par restriction, trahir la vérité. Nous devons à la mémoire de Foch, nous devons à ceux qui le pleurent ici, à la noble femme qui a été sa conseillère et son soutien, à ses enfants, à son frère, à ses amis, de ne laisser dans l’ombre aucune ligne de sa grande figure, et de le montrer tel qu’il a été. Ceux mêmes qui ne partageaient pas ses croyances n’ont jamais pu se défendre d’admirer en lui, outre de merveilleux talents militaires, l’épanouissement des plus belles vertus civiques et le trésor des plus hautes qualités morales. Inclinons-nous, Messieurs, devant les restes sacrés de celui qui, en servant la France, a servi l’humanité et qui vivra, d’une vie sans cesse rajeunie, dans l’esprit de la postérité. »

 

Ordre du jour adressé à l’Armée, par le Ministre de la Guerre, à l’occasion de la mort du Maréchal Foch :

 

                            Le Ministre de la Guerre

Porte à la connaissance de l’Armée le deuil qui vient de la frapper.

Le Maréchal de France Foch

Président du Comité interallié

Est mort à Paris le 20 mars 1919.

Le Maréchal Foch fut un magnifique soldat.

Ayant glorieusement combattu sur la Marne, sur l’Yser, en Artois, sur la Somme, en Italie, il a, comme commandant en chef des Armées Alliées, libéré de l’invasion le sol national.

Le Ministre de la Guerre prescrit que cette mort sera portée à la connaissance des troupes par la voie de l’Ordre.

Signé : P. Painlevé



[1] Il s’agit de Georges Clémenceau (1841- 24 novembre 1929) NDLR

[2] Le prince Charles, second fils du roi Albert Ier, représente son père aux funérailles de Foch. Le roi Albert 1er fut surnommé après la guerre le Roi Soldat ou le Roi Chevalier, en raison de son courage et de sa résistance à l’envahisseur. NDLR

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
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