Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
9 mai 2019

Appendice Texte 8

La mort de Clémenceau (novembre-décembre 1929)

Le mécontentement de la Légion Française

Faut-il que dans ce pages de souvenirs se rapportant à la Guerre, celles consacrées à la mort du Grand chef militaire qui avait su nous conduire à la victoire, soient immédiatement suivies d’autres relatant la disparition du Grand Français qui, avec Foch, fut l’illustre artisan de cette victoire ?

Clémenceau est, en effet, décédé dans la nuit du 23 au 24 novembre 1929, après une agonie de plusieurs jours. Grâce à son admirable énergie, et à sa robuste constitution, il avait pu résister, malgré son grand âge, aux assauts de la maladie, qui s’étaient renouvelés à différentes reprises, au cours de ces dernières années ; mais, cette fois, l’assaut a été plus acharné encore que les précédents et il a succombé ! Il avait 88 ans.

La disparition du grand patriote a été cruellement sensible à tous les anciens combattants et si, parmi eux, il en est un grand nombre qui n’ont pas approuvé Clémenceau dans tous les actes de sa vie publique d’avant la Grande Guerre, il n’en est aucun qui n’admire le rôle magnifique qu’il a joué à partir du moment où il a pris le pouvoir, c'est-à-dire en novembre 1917. Presque octogénaire déjà à cette époque, il ne recula pas devant l’effroyable responsabilité qui s’offrait à lui : la Guerre durant depuis plus de trois ans, son issue plus incertaine que jamais, une armée sortant à peine d’une crise de découragement où, travaillée par les plus louches et les plus abjectes menées pacifistes et antifrançaises, elle avait failli sombrer dans la mutinerie et l’indiscipline, la défection honteuse de la Russie, notre alliée de la première heure, etc. ; rien ne l’arrêta dans son œuvre et, par son énergie et son courage, il sut bientôt galvaniser toutes les forces saines de la nation, mettre impitoyablement dans l’impossibilité de nuire, ceux dont les sourdes campagnes et les ignobles manœuvres, frisant la trahison, mettaient le moral du pays en danger, défendre sans faiblir, contre les attaques des politiciens à la recherche de victimes expiatoires, et couvrir les chefs militaires qu’il savait n’avoir manqué ni de science, ni de caractère, et, faisant ainsi, il sauva la Patrie…

008 Clémenceau en Alsace Ill 3912  Appelé à la fonction de Président du Conseil, Clémenceau, presque octogénaire, parcourt inlassablement la France pour raviver la flamme. Le voici en Alsace, sortant de l'église, accompagné du curé et d'un groupe de généraux et d'officiers, nous sommes en février 1918, il occupe ses nouvelles fonctions depuis trois mois (in L'Illustration du 23 février 1918, Coll. pers.)

On lui a reproché d’avoir perdu la paix, après avoir gagné la guerre… Mais, sommes-nous bien sûrs que tout autre eut mieux fait à sa place ? Il y avait trop de belligérants ; nous avions eu besoin de trop de concours pour nous aider à vaincre nos ennemis et, dans ces conditions, la voix de la France pouvait-elle se faire entendre d’une façon tout à fait prépondérante ?

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on a fait preuve, à son égard, de la plus terrible et de la plus atroce des ingratitudes, en lui refusant la seule récompense qui pouvait lui être offerte, la première magistrature de la République[1], et en lui préférant un personnage, qui avait toujours su, durant une assez longue carrière parlementaire, se maintenir à l’écart des responsabilités et devait s’effondrer dans le gâtisme, quelques mois après !

Il se retira alors de la scène publique et cette retraite si digne, au cours de laquelle plus jamais sa grande voix ne se fit entendre, ne put qu’augmenter encore l’admiration et le respect que les anciens combattants professaient pour lui.

Il avait voulu que sa mort ne fût le prétexte à aucune parade, à aucun cérémonial, et il en fut suivant sa volonté[2].

Toutefois, le Gouvernement, en l’absence de funérailles solennelles, désira associer les anciens combattants au deuil de la France et décida qu’une cérémonie à laquelle seraient invités à participer toutes les Fédérations, Unions et Associations d’Anciens Combattants, se déroulerait le dimanche 1er décembre 1929.

Cette manifestation a donc eu lieu à la date prévue. Dès 9 heures du matin, toutes les associations se groupaient autour de leurs drapeaux, dans les avenues avoisinant le Rond-Point des Champs-Elysées. A 10 heures 30, l’immense cortège se mettait en marche et, débouchant dans l’Avenue par rangs de huit, montait vers l’Arc de Triomphe. Tout le long du parcours, une double haie de soldats rendait les honneurs. Quelques instants avant 11 heures, un coup de canon immobilisait le cortège et chaque assistant s’absorbait dans une minute de recueillement.

Un second coup de canon et la colonne reprenait sa montée. Aux abords de la place de l’Etoile, les rangs s’ouvraient de façon à défiler sous l’Arc de Triomphe, de part et d’autre de la dalle du Soldat Inconnu[3]. Les membres du gouvernement se tenaient sur le terre-plein, à l’entrée  et à la sortie de la voute et la dislocation se faisait sur l’Avenue de la Grande Armée, à cent ou deux cents mètres de la Place.

Hommage était ainsi rendu à la Mémoire du Grand disparu, de celui qui avait dit, en parlant des soldats de la France : « Ils ont des droits sur nous ! » Mais cet hommage, est-il certain qu’il eut été accepté par lui s’il lui avait été possible de manifester sa volonté ?

Il est peut-être permis d’en douter et, comment ne pas de demander si les camarades de la Légion Française[4], qui ont fait distribuer au cours de la manifestation, le tract dont ci-dessous copié, n’ont pas raison…

La Légion Française ne défile pas aujourd’hui

La Légion Française ne défilera jamais plus

La Légion Française est une formation

d’attaque, non de parade.

On a empêché la Légion Française de suivre Foch.

La Légion Française a défilé « contre la ratification des dettes », derrière les Croix de Bois, symbole de tous nos morts… défilé inutile. Le sang des combattants, morts et vivants, n’a pas d’équivalent en dollars, n’a pas cours en Bourse !

Le Tigre[5] seul sut invoquer ce prix du sang. Il écrivit aux U.S.A. : « La France n’est pas à vendre, même à ses amis… Nous ne l’accepterons jamais… » Malgré lui, malgré nous, on a cependant accepté que la France soit vendue… Honte à vous, Combattants ! Celui des nôtres, qui vient de mourir, nous l’avons lâchement renié. Il est resté seul, irréductible, jusqu’à sa dernière heure, sur le front, à l’avant. Toutes les associations d’Anciens Combattants ont été dupées, puis vaincues par l’arrière.

Combattants ! Croyez-vous honorer par cette promenade inutile et semblable à tant d’autres, sur commande cette fois-ci, ce grand mort ? Allez-vous l’affliger d’un tel aveu de votre impuissance ? Il a voulu dérober son corps à toute mascarade officielle. Combattants, vous ne valez pas mieux que tous ceux qu’il a voulu fuir.

Simple salut du fond de nos cœurs pour cet homme que nous avons aimé et qui nous aima et sut souffrir avec nous. Il a écrit : « Si les Combattants voulaient. » Le jour où : « ils auront voulu », un seul d’entre nous ira chuchoter au-dessus de ce bout de tranchée où il attend : « Victoire encore… France encore… » Il se rendormira tranquille, nous lui devons ce repos qu’il redoutait ne pas avoir, au spectacle que nous lui offrîmes…

Combattants, il y a parmi vous tout le potentiel de force inutilisée dont la France a besoin. Accepteriez-vous longtemps de courber la tête ? Y a-t-il donc une seule voie, qui, partant de l’arrière-bistrot, puisse permettre d’atteindre au pouvoir ? Ne peut-on pas servir son pays autrement, quand il faut ? Accepterez-vous donc toujours de ne pas faire « ce qu’ils appellent faire de la politique » ?

Combattants, La Légion Française n’acceptera que ceux qui viendront sous le signe du « Tigre » et notre devise reste :

Que sommes-nous : Rien

Que devons-nous être : Tout

008 tombe de Clemenceau Mouchamps Vendée La stèle toute simple sur la tombe de G. Clémenceau à Mouchamps (Vendée) (in https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7500924, François Sicard — Travail personnel, CC BY-SA 3.0)



[1] Clémenceau, Président du Conseil à partir de 1917, bien que très populaire dans l'opinion publique, refuse de se présenter à l'élection présidentielle de janvier 1920 après avoir été mis en minorité lors du vote préparatoire du groupe républicain à l'Assemblée nationale. Il quitte alors la tête du gouvernement et se retire de la vie politique. C’est Paul Deschanel qui devient président de la République en 1920, mais il doit démissionner quelques mois après pour raisons de santé mentale. L'année suivante, il est élu sénateur et le reste jusqu'à sa mort. NDLR d’après Wikipedia

[2] Testament de Clemenceau rédigé huit mois avant sa mort, le 28 mai 1929 :

" Ceci est mon testament. Je veux être enterré au Colombier à côté de mon père. Mon corps sera conduit de la maison mortuaire au lieu d’inhumation sans aucun cortège. Aucune ablation ne sera pratiquée. Ni manifestation, ni invitation, ni cérémonie. Autour de ma fosse, rien qu’une grille de fer, sans nom, comme pour mon père. Dans mon cercueil, je veux qu’on place ma canne à pomme de fer qui est de ma jeunesse, et le petit coffret recouvert de peau de chèvre qui se trouve au coin de l’étage supérieur de mon armoire à glace. On y laissera le petit livre qui y fut déposé par la main de ma chère maman. Enfin, on y joindra deux bouquets de fleurs desséchées qui sont sur la cheminée de ma chambre qui donne accès dans le jardin. On mettra le petit bouquet dans l’obus qui contient le grand, et le tout sera déposé à côté de moi. " NDLR

[3] De quand date la tombe du Soldat Inconnu ? - Le 11 novembre 1920, après une cérémonie émouvante au Panthéon, ce cercueil est déposé dans l'une des salles de l'Arc de Triomphe aménagée en chapelle ardente. Le 28 janvier 1921, Le « Soldat inconnu » est inhumé dans un caveau sous l'arche principale face aux Champs-Élysées. NDLR

[4] Je n’ai trouvé aucune entrée pour Légion Française, ni trace de ce tract. Par Légion Française, il faut donc entendre par là, Légion Etrangère Française datant de 1831, mais on ne saurait dire si ce tract émanait de tout ou partie des éléments de la Légion. Il ne faut pas confondre avec la Légion Française des Combattants, organisation créée en 1940, mise en place par le régime de Vichy et issue de la fusion de l'ensemble des associations d'anciens combattants. NDLR

[5] Surnom donné à Clémenceau. Il fut aussi baptisé « Père la Victoire ». NDLR

Publicité
Publicité
Commentaires
Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 78 501
Publicité