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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
20 juin 2015

20 Juin 1915

20 juin 1915

Le phénomène que je signalais il y a quelques jours au sujet de nos infirmiers bénévoles, se manifeste également en ce qui concerne l’établissement dans lequel je me trouve. Au début des hostilités, le Dr Bonnet avait généreusement offert toutes les chambres de sa clinique pour recevoir des officiers blessés ; mais la Guerre se prolonge outre mesure, tout à l’heure on va dire qu’il y a un an qu’elle dure et l’on se perd en conjectures sur l’époque vers laquelle elle pourra prendre fin… En attendant, il faut vivre, et c’est pourquoi, petit à petit, le Dr Bonnet reprend aux officiers les chambres qu’il leur avait précédemment destinées, pour les céder à des malades civils qui rapportent bien plus, eux… C’est à ce motif que je dois d’avoir été obligé de quitter ma chambre « Coquelicots », que j’occupais depuis plus de 7 mois, pour échouer dans la chambre « Glycines ». Celle-ci donne sur la cour d’entrée de l’établissement, tandis que l’autre prenait jour sur un joli parc aux arbres séculaires. Fini, donc, d’être réveillé par le chant matinal des merles et le roucoulement des ramiers, bruits qui revêtaient un charme tout particulier quand on songe que l’on se trouvait en plein cœur de Paris !

06 20 on se prépare pour l'été

Les civils valides et loin du front se préparent à partir en vacances...

Pour le moment, je suis seul, ou plutôt presque seul, car un cabinet attenant à la chambre –cabinet de toilette en temps ordinaire- est occupé par un jeune aspirant, très légèrement blessé, ami de la maison.

Je peux descendre, maintenant, et prends mes repas à la salle à manger commune aux officiers et aux malades civils de la clinique. Cela m’a permis de faire connaissance avec un certain nombre d’officiers dont beaucoup sont très sympathiques. Quelques-uns d’entre eux le sont moins, j’aurai l’occasion d’y revenir. J’ai, ainsi, l’occasion d’assister à des discussions homériques entre artilleurs et fantassins. Je dois à la vérité de dire que, quoique appartenant à la reine des Batailles, je n’étais pas toujours, dans le fond de mon cœur, de l’avis de mes frères d’armes.

Ces discussions deviennent tout à fait acharnées lorsqu’elles s’élèvent entre deux capitaines de la table, l’un, d’infanterie, le Capitaine Maunoury, sorti de St Maixent, très ancien de grade (16 ou 17 ans, je crois), un peu aigri par leur longue et terne carrière, et un artilleur, le Capitaine Carlux, beaucoup plus jeune et, à mon avis, très supérieur à l’autre au point de vue professionnel. Le second a le très grand avantage d’être d’un tempérament calme, de ne pas s’échauffer, de parler aisément et posément, tandis que son partenaire s’emballe progressivement, finit par bafouiller et ne plus savoir, lui-même, exactement ce qu’il veut dire. Je passe là, quelque fois, des bons quarts d’heure à entendre ces interminables controverses qui roulent toujours, et presque uniquement, du côté fantassins, sur cette seule théorie : pourquoi les artilleurs, plus favorisés, ne sont-ils pas tout à fait en première ligne comme eux ! [1]

Profitant du beau temps, je passe toutes mes après-midi au jardin, étendu sur une chaise-longue[2] et entouré des miens. C’est là que je reçois encore, de loin en loin, quelques visites[3] ; mais, quoique ce séjour ne soit pas désagréable, bien au contraire, je n’en ai pas moins une hâte extrême de quitter au plus tôt l’hôpital pour réintégrer ma maison.

06 20 Marc Bonnier

"Au cours de mes séances de chaise-longue, dans le jardin, j’ai quelquefois aperçu un adjudant-aviateur, qui a été pendant deux ou trois semaines pensionnaire à l’hôpital, et qui a eu, avant la guerre, son heure de célébrité : Marc Bonnier, le héros du raid Paris-Le Caire."

[1] Depuis la guerre, cette théorie a fait du chemin, car maintenant, on désigne sous le nom d’ »artillerie d’accompagnement », un certain nombre de pièces qui sont mises à la disposition de l’infanterie et sous le commandement direct du chef de celle-ci jusqu’à l’échelon Bataillon inclus. Ah ! si le brave père Maunoury était encore de ce monde, il serait bien heureux de constater que ses idées ont prédominé et que ses camarades ennemis, les artilleurs, seront, dorénavant, pour un certain nombre, du moins, aussi exposés que lui. (Note de l’auteur)

[2] Au cours de mes séances de chaise-longue, dans le jardin, j’ai quelquefois aperçu un adjudant-aviateur, qui a été pendant deux ou trois semaines pensionnaire à l’hôpital, et qui a eu, avant la guerre, son heure de célébrité : Marc Bonnier, le héros du raid Paris-Le Caire. Il était là, je crois, pour se faire opérer d’une blessure assez peu glorieuse, fistule ou autre, mais de retour au front, il s’y faisait tuer peu de temps après. (Note de l’auteur) Voir l’encadré sur Marc Bonnier (NDLR)

[3] Revoir les cartes postales du parc de la clinique du Dr Bonnet au 25 octobre 1914 (NDLR)

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Souvenirs de Campagne - Grande Guerre 14-18
  • Vous trouverez ici le Journal de guerre de mon aïeul, le capitaine Lucien Proutaux, écrit du premier au dernier jour de la Grande Guerre (1914-18). Ce journal est publié jour après jour, 100 ans après les événements relatés et a débuté le 1er août 2014.
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