27 Août 1914
27 Août 1914
La nuit a été assez calme. Cependant, vers 23 heures, un coup de feu tiré par quelque sentinelle, a été cause que tout le régiment a été alerté. Un sous-lieutenant de Cuirassiers[1], agent de liaison du Colonel, une lanterne à la main, se précipite, donnant des signes manifestes d’affolement, dans les divers cantonnements : « Tout le monde dehors, les Boches attaquent ! » Ce que voyant, je prescris aussitôt à mes hommes de ne pas bouger, de se tenir prêts, mais de ne sortir qu’à mon signal, moi seul commandant ici. Il n’y avait, du reste, rien de sérieux et un quart d’heure plus tard, tout rentrait dans le silence.
La 17e Compagnie a perdu tous ses officiers le 25 ; elle ne compte plus qu’une cinquantaine d’hommes ; aussi, le Colonel décide-t-il que cette unité sera supprimée jusqu’à nouvel ordre et que ses hommes seront pris en subsistance par ma Compagnie. Il décide, également, que Argant, mon sous-Lieutenant, prendra le commandement de la 19e qui, elle aussi, n’a plus d’officiers. D’autre part, j’obtiens que mon meilleur sergent, Chanot, ancien sous-officier rengagé, très dévoué et expérimenté, soit nommé sergent-major à la Compagnie ; je suis heureux de cette promotion qui me donne un auxiliaire sur lequel je pourrai compter.
Nous restons sur place et améliorons des éléments de tranchées existants déjà en avant du village.
L'Illustration du 11 août 1917 (coll. pers.)
Pendant la soirée, nouvelle alerte ; mais, cette fois, ce doit être plus sérieux qu’hier soir, car le Colonel donne l’ordre d’occuper ces retranchements auxquels nous avons travaillé dans la journée. Nous restons de longues heures à attendre. Quelques fusées, du côté de l’ennemi, sillonnent le ciel. Les ténèbres sont impénétrables, à tel point que, m’étant un peu éloigné pour aller voir une section placée dans un bout de tranchée distant de 50 ou 60 mètres, je faillis m’égarer dans la nuit qui forme comme une muraille sans issue autour de moi. Ce n’est qu’en appelant Chanot à voix assez haute, que je finis par retrouver mon monde, non sans pousser un ouf ! de satisfaction.
A deux heures du matin, on nous permet de regagner nos cantonnements.
[1] Le Sous-Lieutenant en question, originaire de l’Alsace, où il était gros propriétaire foncier, avant que nous ayons vu le feu, ne parlait rien moins que de reprendre, à lui seul, l’Alsace et la Lorraine… Le 28 août, il était évacué pour … neurasthénie et ne reparaissait plus au front. Cela ne l’empêchait pas, d’ailleurs, d’être décoré en 1920 (Commission Fayolle) pour sa brillante conduite du 25 août 1914. Conseiller Général d’un canton du Haut ou du Bas-Rhin, je ne me souviens plus exactement, il est décédé au cours de l’année 1924. (note de l’auteur)